L’éducatrice découvre qu’un jeune lui a volé son IPOD. Que faire ?
J’arrive à l’appartement par un beau jour ensoleillé, pose mes affaires, puis pars tranquillement m’occuper des jeunes. La matinée passe, je décide de prendre une pause le midi et d’écouter un peu de musique. Mais surprise ! Mon IPOD a disparu de mon sac resté dans l’appartement. En cherchant bien, j’ai un doute concernant l’auteur du vol. Je soupçonne M., arrivé depuis peu, très agréable, mais qui semble avoir dans le groupe la réputation de pratiques cleptomanes… Un doute persiste en moi… Comment, sans le stigmatiser auprès des autres jeunes, m’assurer de sa responsabilité, et si tel est le cas, lui permettre de réparer de lui-même la « faute » commise ?
Je suis seule dans l’appartement, tous les jeunes sont sortis. Devant moi, une pile de journaux. Une idée me vient : pourquoi ne pas faire jouer le collectif tout en leur donnant la possibilité de rester dans l’anonymat ? Je vais chercher des ciseaux, une feuille, de la colle, et commence à jouer au « CORBEAU » :
Pour commencer, on m’a volé mon IPOD. Je décide alors de leur « emprunter » à chacun un objet commençant par « I » que je prendrai « en otage » jusqu’au retour de mon IPOD. Je passe dans la chambre de l’un et récupère une IMAGE de rappeur qu’il a posée sur son bureau, je passe dans la chambre du suivant et prends l’IMPRIMANTE… Tout objet commençant par un « I » est rapté et rangé dans le placard, fermé à double tour !
Je reprends mes ciseaux, découpe méticuleusement des lettres du journal, avant de les recoller sur ma feuille blanche, écrivant les mots suivants :
« MON IPOD A DISPARU DEPUIS CE MATIN. FRIAND D’OBJETS COMMENÇANT PAR UN « I » J’AI DONC SAISI UN OBJET DE CHACUN D’ENTRE VOUS QUE JE RETIENDRAI EN OTAGE JUSQU’A CE QUE CELUI-CI SOIT REVENU A L’ENDROIT OU IL A ETE KIDNAPPE !! JE L’ATTENDS DONC AVEC IMPATIENCE
CORDIALEMENT,
LE CORBEAU «
Je descends en mission commando faire des photocopies et dépose soigneusement une copie à chaque endroit vide de l’objet pris, avant que les jeunes ne rentrent. Dès leur arrivée, les jeunes, comme à leur habitude, vont s’enfermer dans leur chambre pour écouter de la musique. Le premier sort dix minutes après : « C’est quoi ce papier ? » « Je n’en ai aucune idée ! », lui dis-je. Il fait le tour des chambres, tous se réunissent dans l’une d’elles pour parler du mystérieux corbeau… Je tends l’oreille et les entends discuter, se chamailler, plaider la cause de l’IPOD. Discours digne d’un bon film d’énigmes : M. parle d’injustice, il n’aime pas qu’on touche à ses affaires ! L. réplique : « C’est pas bien de voler, en plus Julia est juste et cool comme éducatrice, avec tout ce qu’elle fait pour nous, c’est pas bien ! Si j’attrape celui qui l’a volé ! »
D’un commun accord, après s’être rejeté la faute durant un bon quart d’heure, ils décident que celui qui a volé mon IPOD doit me le rendre avant demain pour que je le retrouve en arrivant… Suspens ! Vais-je revoir mon IPOD ?
Le lendemain, je pousse la porte d’entrée du bureau des éducateurs, accompagne les jeunes dans leurs démarches, et, emportée par la curiosité, profite de ma pause pour aller vérifier l’appartement. Ma stratégie a-t-elle payé ? Bingo ! Je retrouve mon IPOD à l’endroit même où il a été volé, et, à mon grand étonnement, accompagné d’un petit mot d’excuse, sur une belle feuille blanche, écrit en prose avec des lettres soigneusement découpées de journaux divers, et signé : « LE CORBEAU »
Il est maintenant temps de leur rendre leurs objets divers : je fais le tour des chambres et remets chaque objet à sa place. En entrant dans la chambre de M., je retrouve, sous le bureau, des lettres découpées : acte manqué ?
Je n’ai plus jamais parlé de cette histoire, et bizarrement, aucun autre vol ne s’est reproduit dans ce groupe, alors que jusque là, les vols étaient fréquents dans cet appartement…
Julia P.
Texte paru dans Sortir de l’impasse (L’Harmattan), p. 70 ; on y trouvera une analyse et des citations
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