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une étrange histoire de steack

Une étrange histoire de steak

C’est un de ces mercredis du mois de juillet…

Assise derrière le bureau à rédiger un rapport, je me laisse agréablement distraire par une légère bise qui s’est infiltrée dans l’ouverture de la fenêtre …Sa douceur ainsi que son chant aussi silencieux que mélodieux, laissent esquisser un sourire sur mon visage…Cette sensation d’accalmie me laisse entrevoir la tranquillité ambiante qui règne sur le foyer. Le petit Dany s’est assoupi, tandis que Mickael, Nadia et Anne jouent tranquillement dehors. La vague de chaleur semble avoir emporté avec elle toute velléité agressive, laissant sur son passage une douce impression de sérénité…

Mais où est Jean ?

Jean est un jeune garçon d’une dizaine d’années aux grands yeux couleur noisette. Ses cheveux blonds laissent profiler un épi au sommet de son crâne, mettant ainsi en exergue la disproportion dont fait l’objet sa tête par rapport au reste du corps. Jean porte souvent des vêtements au sein desquels il semble étriqué : ses manches atteignent tout juste ses avant-bras, et ses pantalons laissent entrevoir la couleur de ses mollets. La petitesse de ses habits qui demeure non adaptée à un enfant d’un tel âge et d’une telle carrure, apparaît comme étant décalée face au style vestimentaire quelque peu « vieillot » qu’il revêt. Ce dernier s’avère en effet un fervent adepte des chemises à carreaux, des pantalons de velours, des bérets, ainsi que des mocassins qu’il a tendance à porter à l’envers. Cette apparence externe dont chaque détail exprime une contradiction, semble n’être que le reflet de l’ambivalence incarnée par Jean. Ce dernier peut en effet aussi bien passer par des phrases euphoriques, qu’auto et hétéro agressives. Et puis, il y a cet aspect de sa personnalité qui fait que Jean n’est pas toujours compris de son entourage… Ce rapport à la réalité qui lui est propre, cet onirisme dont il peut faire preuve, créant ainsi une intrinsèque corrélation entre son imaginaire et les représentations qu’il se fait de la réalité… .Car Jean dit voir et entendre des choses qui ne sont pas perceptibles…  « Ces choses » peuvent à la fois l’invalider et être hautement anxiogènes – comme  ce petit bonhomme qu’il dit avoir dans la tête et qui lui veut du mal – mais il arrive aussi que Jean s’en amuse lorsqu’il se distancie de ses propos et qu’il peut agir sur ce qu’il a posé – comme cette fois où il pensait que le foyer était attaqué par les créatures appelées « Hobbits » sorties du film  Le Seigneur des anneaux.

J’en oublie ma préoccupation initiale : où peut-il bien être ?

Je laisse mon regard parcourir l’ensemble de la pièce, mais rien n’y fait : Jean ne fait plus partie du tableau. Un bruit sourd de métal en provenance de la cuisine me laisse à penser qu’il s’y trouve. Je me lève, afin de confirmer mes doutes et la vue de la scène qui se profile devant moi fait prendre tout son sens au fameux proverbe : « Après le calme, vient la tempête ».

« Jean, lâche cela tout de suite !! » Voilà tout ce que je trouve à crier à Jean sous l’effet de la stupéfaction, lorsque je le surprends, le poing serré sur le manche du couteau, lame brandie en direction de sa gorge… Comme si le simple fait de lui demander de le déposer allait suffire !  

Il n’en est évidemment rien… La stridence de mon cri ne tarde pas à interpeller Jean. Une intense crispation semble venir le tétaniser : ses épaules sont remontées et ses poings se resserrent tellement sur la paume de sa main qu’il pourrait presque y faire entrer ses ongles. Je tente une timide approche, mais à chacun de mes pas maladroits, je sens son visage s’assombrir encore et encore : la couleur noisette de ses grands yeux n’est déjà presque plus perceptible, dissimulée par le froncement de ses sourcils dont l’affaissement entraîne ses paupières à se plisser. Je sens que je m’aventure sur un terrain glissant dont je ne maîtrise ni les tenants ni les aboutissants.   Si je me trouve complètement démunie face à la situation, ne sachant pas quelle attitude adopter, Jean m’éclaire au moins sur ce que je me dois impérativement m’abstenir de faire :

« N’approche pas connasse ! De toute manière, vous les éducateurs, vous êtes tous des cons, des putains de gros cons ! »

La dernière fois que Jean nous évoqua de manière aussi compulsive son désir de se couper, il fut stoppé physiquement dans son élan par un éducateur, qui s’était emparé du couteau et qui lui avait bloqué les mains en le surprenant par derrière. Mais on ne l’y reprendra pas deux fois, Jean s’est cette fois-ci, empressé de coller son dos au mur, m’ôtant ainsi toute once de velléité- aussi minime soit-t-elle – d’user de ce procédé.

« Je n’approche plus Jean, c’est promis, regarde, je m’assois par terre tout ce que je veux, c’est que l’on discute un peu tous les deux ».

« Casse-toi, j’te dis, j’veux pas parler avec toi, j’veux m’planter, t’entends ? J’tai dit que j’voulais me couper la peau !».

Au moins c’est clair, Jean semble hermétique à tout discours ; il va pourtant bien falloir que je trouve une solution… « J’tai dit que j’voulais me découper la peau » ….la résonance de cette phrase fait en moi jaillir cette idée :

« Bah Jean …Qu’est-ce qui t’arrive ? T’es pas un steak… C’est la viande que l’on découpe avec les couverts pas les petits garçons ! ».

La colère de Jean fait aussitôt place à un ébahissement total ; voyant que la brèche créée l’interpelle plus que je ne l’aurais espéré, je m’aventure à poursuivre :

« Tu voudrais p’t’être que j’aille te chercher une fourchette pendant que t’y es, j’pense que t’y arrivera mieux ! » 

Littéralement déconcerté, Jean me rétorque contre toute attente en rigolant :

« Ҫa va pas, non j’suis pas de la viande, c’est toi le steak d’abord !»

Et c’est avec légèreté que Jean décolle son dos au mur, se dirige vers moi, me tend le couteau, et quitte la pièce en secouant la tête, comme pour me signifier que je suis à côté de la plaque !

C’est tout aussi ébahie que dépossédée d’énergie, je laisse mon corps tomber sur une chaise, le bras ballant avec en son bout le couteau de jean.

La douceur de la bise qui était venue me chatouiller quelques minutes avant, revint me caresser le visage, comme pour me signifier le retour de cette si fragile accalmie. Phalanges, après phalanges, mes doigts se desserrent, laissant s’échapper dans un soupir de soulagement l’ustensile de mes frayeurs…

Olivia, Educatrice spécialisée

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Martine, sa mère, et le dentifrice,

La maman de Martine, handicapée mentale, nous « harcèle » sur des détails futiles, concernant la toilette…

Martine est une personne de 45 ans. Elle a une déficience intellectuelle légère et une épilepsie qui n’est pas encore stabilisée. Malgré un traitement très conséquent, qui la ralentit beaucoup, elle fait une à deux crises par semaine.

Martine est abonnée à Point de vue et Closer. Elle suit avec beaucoup d’intérêt tout ce qui concerne la famille royale d’Angleterre et la vie des stars. D’après elle, les plus grands drames du XX° siècle sont : la mort de Lady Di, celle de Claude François, le suicide de Mike Brandt et le tragique accident de Balavoine.

Elle est arrivée au foyer il y a trois ans, suite au décès de son papa. Elle dit être toujours triste chaque fois qu’elle pense à lui. Sa maman vit seule, elle est à la retraite. Martine passe un week-end par mois avec sa maman, c’est cette dernière qui s’occupe de lui acheter vêtements et produits d’hygiène.

Sa maman ne recherche pas le lien avec l’équipe du foyer. Elle vient chercher Martine à la sortie de l’atelier le vendredi soir et la ramène à l’atelier le lundi matin, elle ne participe pas aux festivités du foyer, et ne trouve jamais de disponibilité quand on essaye de l’inviter pour une réunion, un repas ou une après-midi conviviale. En revanche, elle a régulièrement des reproches à nous faire.

Auparavant, Martine allait à l’atelier en journée et vivait en famille le reste du temps. Le lien entre les parents et l’atelier était très bon. Il semble que quelque chose a raté pour que le lien soit également bon avec le foyer. Dans nos échanges dans l’équipe nous avons plusieurs hypothèses. La première est que c’est plutôt le père qui était moteur dans la relation entre les parents et l’atelier, la mère n’était peut-être pas si à l’aise que cela. La deuxième est que la place de Martine en foyer est directement liée au décès du papa, sa mère peut projeter sa colère sur nous ou culpabiliser de ne pas pouvoir continuer à vivre seule avec Martine. Enfin la dernière hypothèse, est une classique rivalité entre une mère et une structure qui assure, d’une certaine façon, une fonction maternante.

Ces hypothèses nous aident à accueillir avec plus d’empathie les reproches qu’’elle nous fait régulièrement, mais elles ne sont pas d’une grande aide pour trouver concrètement comment améliorer ce lien.

Il y a un gros point de friction entre elle et l’équipe du foyer : les produits d’hygiène. Elle est catastrophée de la rapidité avec laquelle nous vidons les flacons de gel douche, de shampoing et les tubes de dentifrice… Chaque fois que nous lui demandons si elle peut racheter quelque chose, nous savons par avance que nous aurons un commentaire assassin sur le cahier de liaison et que l’équipe de l’atelier allait entendre ses commentaires sur notre gaspillage.

Un lundi matin, j’accompagne les personnes du foyer à l’atelier et je reste un peu pour parler avec les uns ou les autres. Martine revient de week-end accompagnée de sa maman. Je vais à sa rencontre pour la saluer :

  • Bonjour Madame, le week-end s’est bien passé ?
  • Oui très bien. Mais dîtes moi, vous m’avez encore demandé d’acheter du gel douche.
  • Euh… oui, il me semble.
  • J’en ai acheté deux tubes le mois passé vous en faites quoi ? Vous le mangez ?
  • Non, nous n’avons fini les deux tubes, on en a demandé un autre parce qu’on entame le deuxième tube, pour en avoir toujours un en avance.
  • Oui, ben ça fait quand même beaucoup. Je sais que certaines autres personnes ont peu de ressources, mais ce n’est pas une raison pour que ce soit Martine qui fournisse les produits d’hygiène pour tous.
  • Non, rassurez-vous, les produits de Martine restent bien dans sa salle de bain.

Le dialogue était mal engagé, j’étais en train de me justifier face aux soupçons de la maman de Martine.

Nous nous séparons, chacun ayant autre chose à faire qu’à continuer ce dialogue. Quelques mois plus tard, je me retrouve dans la même position. Je suis le lundi matin à l’atelier, Martine arrive, accompagnée de sa maman, cette fois-ci c’est un problème de dentifrice : un tube de dentifrice ça devrait lui faire plus qu’un mois tout de même !

Je n’ai pas envie d’être à nouveau en train de me justifier et bien sûr, je ne vais pas lui dire que ça suffit. Sans trop réfléchir, je lui dis :

  • Oui, je sais, on a vraiment un problème à gérer ses produits. Il faudrait que vous veniez un jour à notre réunion d’équipe pour nous montrer ce à quoi Martine est habituée, pour qu’il y ait moins de perte.

Aussitôt que ces mots sont sortis de ma bouche je les ai regrettés. Je me suis senti parfaitement idiot de lui avoir proposé de venir à une réunion pour nous montrer quelle quantité de dentifrice mettre sur la brosse à dent. Ma place d’éducateur-coordinateur me permet de fixer l’ordre du jour des réunions d’équipe et d’inviter des partenaires à y participer, mais ce n’est pas une raison pour proposer des trucs comme ça !

Mais à mon énorme surprise, elle ne rejette pas ma proposition :

  • Oui c’est une bonne idée, on en profitera pour faire un point sur ses besoins en vêture. Elle a quelques vêtements qui commencent à prendre un coup de vieux.
  • Bien sûr. Si ça vous va, nos réunions d’équipe sont le mardi, mais on peut en faire un autre jour si besoin.
  • Non, mardi ce sera très bien. Peut-être pas demain, je ne vais pas faire deux fois l’aller-retour, mais la semaine prochaine si vous êtes là.
  • Eh. Bien, parfait ! Je note mardi, 10h ?
  • 10h c’est très bien.

J’étais abasourdi. Nous nous sommes enfin rejoints, et on a pris date pour une réunion. En trois ans pas moyen d’y parvenir et là, en proposant une rencontre pour qu’elle nous montre comment doser le dentifrice, c’était bon.

Le mardi, elle est venue. Nous avons proposé à Martine d’être avec nous, mais elle ne voulait pas rater l’atelier ce matin. Donc nous étions trois accompagnateurs avec la maman autour de la table. Ma collègue Sophie sert le café et les petits gâteaux, et nous papotons ensemble. La maman interroge mes collègues, plus jeunes que moi, si ce n’est pas trop dur de venir s’enfermer dans un village au fond de la campagne à leur âge. Elle enchaîne qu’elle habite en ville, c’est pratique, mais qu’à son âge elle aimerait beaucoup retrouver le calme d’un village. Je propose qu’on passe dans la chambre de Martine pour regarder les questions de vêtures. Elle me dit qu’on ne va peut-être pas le faire sans Martine. Je lui redis qu’elle ne souhaitait pas être là ce matin. Qu’à cela ne tienne, elle va la chercher sans rien nous demander.

Elle revient donc avec Martine, et lui dit :

  • Alors c’était quoi cette histoire que tu ne voulais pas venir pour faire du tri dans tes vêtements ?
  • J’avais pas envie de vous voir encore vous engueuler, on dirait papa et toi.
  • Oui, mais avec ton père il y avait toujours une bonne raison.

Puis elle passe dans la chambre.

Je ne dirais pas qu’on est passé du jour au lendemain à la meilleure relation possible avec cette maman. Elle est restée une mère exigeante qui ne laissera pas passer nos oublis et erreurs. Mais la relation est devenue beaucoup plus conviviale, elle est venue par la suite pour fêter l’anniversaire de Martine avec ses sœurs et neveux au foyer et elle ne rate plus une seule réunion de projet ou fête dans l’institution. 

Guillaume, coordinateur d’équipe

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Léon le lambin

Léon est un adolescent en EMP, qui devrait passer en IMPRO. Mais voilà, c’est un jeune passif qui résiste activement à notre « travail sur l’autonomie » : Léon ne veut pas grandir !  Jusqu’à ce qu’un jour, Anne, éducatrice spécialisée, l’ayant perdu, le retrouve..

Il ne faut pas tirer sur l’herbe pour la faire pousser (proverbe bourguignon)                                                                                  

À l’EMP, le vendredi est la journée-phare du groupe des grands, attendue souvent avec impatience par les enfants : elle représente une véritable excursion au dehors, avec arrêt incontournable au Mac Donald’s ou Flunch, ce qui décuple la joie du groupe.

            Le programme de la journée est variable, mais toujours axé sur un même fil conducteur. Pour nous, éducateurs, ce jour-là est consacré avant tout à la réalisation du « projet d’autonomisation à l’extérieur ». La perspective des IMPro qui attend nos chers grands, dans deux ans au plus tard, nous amène en effet à pousser chaque enfant vers un « plus » d’autonomie, dans l’espoir que les portes les plus prometteuses s’ouvriront à eux, un jour…

            Pour certains, il s’agit simplement de développer des interactions positives avec l’extérieur, d’intégrer des règles de sociabilité. Pour d’autres nous mettons en place des apprentissages spécifiques (savoir téléphoner d’une cabine, prendre les transports en commun, connaître l’heure, répéter des signes écrits simples pour s’orienter, compter ses sous, etc.).

            Pour les enfants, le vendredi est donc la journée où l’on fait « des choses de grands » : apprécier cette journée particulière suppose qu’ils aspirent à être grands. Mais cette condition n’est pas toujours remplie. Certains nous expriment à leur manière combien ils refusent de revêtir cet habit de grand que nous voulons à tout prix leur enfiler :

            « Tu es grand, maintenant.

–           Non, petit, petit, petit. »

Être grand leur demande, certes, un effort :

« Tiens-toi bien ! »

« Non je ne t’aiderai pas à mettre ton manteau ! »

« Débrouille-toi pour prendre ton ticket ! »

« Si tu ne commandes pas ton repas, tant pis, tu ne manges pas ! »

« Hep ! la rue n’est pas une cour de récréation ! »

            Mais, finalement, toutes ces contraintes sont contrebalancées par un plaisir certain. Car être grand signifie aussi être le seul gardien de ses sous, posséder une carte téléphonique, choisir son menu soi-même, s’amuser avec les copains sans le regard constant de l’adulte. Malgré tout, soyons francs : grandir, c’est vraiment dur !

            Et il faut bien avouer que mon collègue et moi-même sommes toujours drôlement exigeants le vendredi. Autonomie oblige – l’autonomie, cette curieuse chose qui nous met tous sur le pied de guerre, enfants comme adultes ! Mais cette émulation contre laquelle nous pestons pour la forme fait incontestablement partie du folklore de cette journée et, finalement, personne ne songe sérieusement à l’éradiquer.

            Personne ? Pas tout à fait… Qui mieux que Léon peut nous faire comprendre que grandir, ce n’est pas devenir un roc tout d’un coup imperméable aux angoisses de tout-petit qui sommeillent en chacun de nous ?

            En effet, pour Léon, 12 ans, la cacophonie du vendredi n’a rien de sympathique. La sieste est son activité favorite et il oppose toujours à notre précipitation coutumière une passivité massive, propre à nous irriter au plus haut point.

            Quand nous courons, Léon marche à pas de fourmi. Quand nous marchons, Léon est immobile. Quand nous allons par monts et par vaux, au mieux il croise les bras ; au pire, il s’endort.

            Bref, Léon ne veut pas grandir et la journée du vendredi est sûrement, pour lui, la pire des corvées, une désagréable intrusion dans sa chère tranquillité.

            Vous l’aurez compris : Léon est un incurable traîne-savates, doublé d’un boudeur imperturbable.

            Têtu comme un âne. Toujours en retard, ne s’intéressant à rien, en dehors des canapés de l’institution. Une force d’inertie qui fait frémir, impossible à combattre.

            Et poltron, avec ça, se figeant instantanément sur le seuil d’une pièce où plus de cinq personnes conversent, se cachant à la vue du moindre animal, incapable de tremper un orteil dans la piscine, se renfermant comme une huître au moindre éclat de voix.

            PAS GRANDIR – PAS SORTIR – JUSTE DORMIR : telle est la devise de Léon

Pourtant, Léon est entré dans le groupe des grands et nous sommes bien décidés à le secouer. Finie la petite vie « pépère » de notre brave Léon, entre siestes et câlins !

            Léon est devenu un Grand.

            Interdiction d’appeler les éducatrices autrement que par leurs prénoms : les « ma biche » et « chérie » au placard.

            Léon est devenu un Grand.

            Interdiction de s’endormir dans nos réunions extrêmement sérieuses, de bailler à nos remarques hautement pertinente (quelle insolence !).

            Léon est devenu un Grand.

            Interdiction de traîner des pieds quand le reste du groupe est en effervescence et de se planquer dans un coin, juste le jour où on est déjà en retard.

            Léon est devenu un Grand.

            Ah, mais nous allons le mâter sans plus attendre ! Cependant notre assurance s’ébranle, jour après jour, face à une résistance à grandir qui finit par nous exaspérer. Léon ne veut pas monter à l’étage des grands, il souhaite retourner chez les « moyens ». Nous avons l’impression de lui faire violence pour qu’il participe à la moindre activité.

            Léon nous met hors-jeu dans notre superbe projet d’autonomie.

            « Léon, tu sais que tu es grand, maintenant ?

–           Non, arrête ! Pas encore, pas encore !

–           Viens, tu vas voir, c’est génial, c’est un truc de grand ! »*

Bravo, bel argument ! Justement ce que Léon abhorre plus que tout : les « trucs de grands ». Au niveau de l’obstination, il nous bat toujours à plate couture. Il faut nous rendre à l’évidence : à nous d’effectuer le premier pas.

            C’est tout naturellement dans le tourbillon d’un vendredi particulièrement tumultueux que j’ai eu le sentiment, pour la première fois, d’aller à la rencontre de Léon. Après maints allers et retours dans les étages, un coup d’œil à la montre nous confirme notre retard. Du moins sommes-nous au complet dans le véhicule :

            « Un, deux, trois… Six, huit, neuf… Neuf, neuf !! Neuf ?? »

            L’exaspération est à son comble. Qui est en train de nous jouer un mauvais tour ? Léon, bien sûr. A l’arrière, les enfants s’agitent. Devant, les éducateurs ne valent guère mieux :

            « Ah, le cochon ! Juste le jour où on ne peut pas se permettre d’être en retard ! »

            « Qu’il fasse ce qu’il veut, moi j’en ai marre de lui courir après ! »

            « Allez, go ! On y va, ça lui apprendra. »

            En mettant ma ceinture de sécurité, je jette un bref coup d’œil par la vitre. Et, d’un seul coup, ma colère désenfle comme un ballon crevé. Je viens d’apercevoir Léon debout devant la fenêtre du premier étage.

            Léon qui nous regarde partir. Léon qui nous regarde partir sans lui. Et cette vision m’étreint le cœur. A ce moment-là, je ne vois pas l’enfant frondeur qui fait tout-exprès-rien-que-pour-nous-enquiquiner.

            Je vois un Léon seul et perdu, comme un tout-petit à la sortie d’une école maternelle. Un Léon qui attendrait qu’on vienne le chercher.

            Je grimpe les marches quatre à quatre, en luttant contre l’émotion qui me gagne. Je me prépare à le réprimander quand même, gênée de mon mièvre attendrissement, lorsque Léon me fait face.

            A cet instant, son visage est si parlant que je renonce à troubler ce drôle de discours sans paroles par un bavardage inutile : ses lèvres pincées parlent de l’inquiétude de la sanction, ses yeux crient la tristesse et l’ensemble de son visage me raconte la longue histoire d’une solitude…

            Alors, pour une fois, c’est moi qui prends l’initiative du sourire. Je lui souris, car c’est la seule chose sincère que je peux faire à ce moment-là. Le sermon de l’éducatrice qui pointe les règles me reste au travers de la gorge. Il me sourit à son tour et m’offre un visage lumineux. C’est ainsi que, pour l’occasion, j’oublie les sacro-saintes règles de Sa Majesté l’Autonomie.

            Je le prends par la main, avec précaution. Comme un bébé qui risquerait de trébucher sans appui. Comme un petit garçon qu’on guide pour lui éviter les bobos.  Comme un enfant qui a besoin d’un coup de pouce pour grandir. Comme un grand de douze ans qui vit dans la crainte de l’abandon.

            Lentement, doucement, nous descendons l’escalier, main dans la main. Je me décide alors à rompre le silence :

            « Allez viens, Léon. Qu’est-ce qu’on ferait sans toi ? »

            Son sourire s’élargit et c’est lui qui m’entraîne à présent, me pressant d’avancer, avec jubilation. Il me tire par le bras, l’air de dire :

            « Quelle traine-savate, celle-là ! »

            Pour un peu, il m’aurait reproché de le mettre en retard. C’était de bonne guerre.

C’était de bonne guerre, en effet : une de ces petites batailles qui font le quotidien de l’éducateur.

            Un enfant réfractaire au travail éducatif, des éducateurs qui s’obstinent.

            Une situation qui se bloque, un petit rien qui fait que tout redevient possible.

            Car, à présent, l’image d’un adolescent confiant, sourire aux lèvres, carte orange et carte téléphonique en poche, se superpose dans ma mémoire à celle de l’enfant perdu derrière la vitre.

Anne [éducatrice spécialisée]

 

Récit paru dans Petites histoires de grands moments éducatifs (L’Harmattan)

WIKI : empathie ; recadrage (reframe) : aller dans le sens du symptôme

 

 

 

 

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Un contrat pour Louis

Un enfant psychotique tyrannique veut tout contrôler, notamment dans les moments de transition...

Louis est un jeune garçon de 7 ans. Métisse, son visage « couleur café » exprime facilement des expressions de joie, de colère ou d’émerveillement selon les situations. Lorsque Louis arrive à l’hôpital de jour, ses vêtements sont toujours très  soignés, l’assortiment des couleurs et la marque de ses vêtements en témoignent. Quand je le vois arriver, je me dis : « tiens voilà Louis. Avec ses vêtements il me fait penser à un membre de Yatch club : il fait chic, décontracté !» Son langage peut être riche et structuré. Cependant, il ne semble pas toujours adressé à l’autre. Cela lui donne un côté énigmatique… À certains moments, il passe du coq à l’âne dans une conversation. Les intonations de sa voix sont changeantes, elles passent d’une tonalité grave à une tonalité aiguë selon les circonstances. Lorsque nous lui posons une question, il peut nous répondre avec un ton très doux comme si il voulait jouer au gentil petit garçon. L’alliance de ses intonations vocales et de son vocabulaire abondant se traduit parfois par une langue, un discours que je pourrais qualifier de «précieux ». Cela me fait penser à une forme de « maniérisme ». Il a un côté théâtral et surjoue. À titre d’exemple, je me souviens d’une journée où nous sommes allés tous les deux à l’intérieur d’un magasin de jouets. Avant d’entrer dans le magasin, je demande à Louis de ne pas toucher aux jeux : « nous pouvons regarder, mais on ne pourra pas jouer avec » À l’intérieur du magasin, Louis  lance bien haut à la cantonade, d’une voix suraiguë, enfantine : « Olala, je suis bien embêté car mon petit doigt a très envie de toucher à tous ces jouets ».

Par ailleurs, Louis montre des difficultés particulièrement  envahissantes  pour tout le monde lorsque des transitions s’imposent dans un rythme journalier. Nous pouvons noter une grande agitation quand il arrive à l’hôpital de jour avec sa mère. Il se met à hurler, fait des cris de « dinosaures ». Il donne l’impression d’un enfant terrifiant, un enfant incontrôlable, coupé des autres et étanche aux intentions des adultes. Il peut surgir dans une pièce et crier de toutes ses forces. Les autres enfants en ont peur. Des scènes similaires se produisent parfois lorsqu’il faut repartir de l’hôpital de jour ou lorsque Louis souhaite absolument faire quelque chose.

Par exemple, Louis est dans un état d’angoisse intense lorsqu’un autre jeune que lui ferme les portes de notre véhicule de service. Dans ces moments-là, à l’égard des autres, il prend facilement des allures tyranniques : « Je te dis que je veux fermer !!! Laisse-moi faire !! » Alors, son regard se fige et sa voix est proche du hurlement. J’ai l’impression que Louis a besoin de contrôler les gens et les choses qui sont autour de lui, notamment lorsqu’il doit vivre des moments où une activité s’arrête. Cette sorte d’angoisse est très communicative et elle met l’adulte en difficulté. Je me souviens de m’être souvent senti démuni, sans accroche possible lorsque Louis devient « explosif ».

Lors de notre deuxième rencontre, je me demande comment faire pour « contenir » ce petit bolide : j’ai des appréhensions  car je ne souhaite pas être spectateur d’une crise de Louis. Que vais-je faire aujourd’hui avec lui ?

Il est 14h, Louis arrive dans les couloirs de l’hôpital de jour, il hurle et fait des grimaces tel un animal terrifiant. Il ne dit bonjour à personne et me regarde à peine lorsque je viens à sa rencontre. Je ne suis pas très surpris de le voir ainsi et lui parle sans le regarder dans les yeux pour ne pas faire trop intrusion. Je l’invite à monter dans la salle d’ordinateur. A ma grande surprise, il accepte sans difficulté. Nous ne parlons pas. Depuis mon expérience à l’école de Mannoni, j’ai appris que le silence est parfois fructueux lorsque je me trouve avec un enfant qui semble en difficulté. Ce silence est tout de même accompagné par une présence que je souhaite sécurisante.

Une fois arrivé, il me regarde et me dit : « Pierre, je suis très content d’être avec toi, mais l’année prochaine je vais changer d’école, on ne se verra plus…désolé »  Ce qu’il vient de me dire suscite en moi une sorte d’étonnement. D’un côté il me dit quelque chose de plutôt sympathique et d’un autre côté, il m’annonce une fin prochaine à nos entrevues. Je le questionne sur le nom de sa prochaine école, je lui demande aussi en quoi un changement d’école viendrait mettre un terme à sa présence à l’hôpital de jour, « Peut être que tu souhaites arrêter de venir ici ? » Louis me regarde et reste silencieux. Puis, il me parle d’un tout autre sujet avec un discours évasif.

Je fais le tour des objets qui se trouvent autour de la table. J’aperçois dans un coin quelques feuilles blanches type A4 et des feutres. Je me lève pour aller les chercher puis m’assois juste en face de Louis et lui dis : « Nous allons passer une heure ensemble, je vais marquer sur cette feuille ce que tu veux faire aujourd’hui, ce qui est important pour toi et ce qui est important pour moi » Louis me regarde intrigué, reste calme et oriente son regard vers la feuille. Je lui propose de commencer : « je veux d’abord jouer au jeu de Dinosaure sur l’ordinateur. » Je prends le stylo et note mots pour mots ce qu’il dit. Comme Louis sait lire, je fais attention à écrire lisiblement avec de grandes lettres. Arrive mon tour pour inscrire ce qui me semble important. Je cherche un peu mes mots avant d’écrire et je dis à haute voix « J’aimerais bien que ça soit calme ici » Louis reprend : « après je veux faire un avion ». Je note ensuite : « je veux bien jouer à l’avion et je souhaite aussi que Louis ne tape pas les autres enfants de l’hôpital de jour » Il me regarde et pose son dernier point : «  A la fin, je veux regarder une cassette vidéo sur la télé ». Enfin, je termine la liste en disant et écrivant : « Quand, il est l’heure de partir, je te donne la main pour descendre tranquillement du 1er étage pour retrouver la personne du taxi qui va venir te chercher »

Une fois les points inscrits, je signifie à Louis que cette feuille est « un contrat » entre nous et que nous devons faire attention tous les deux à respecter les points notés. Il acquiesce, je dirige le feutre vers le bas de la feuille pour signer et demande à Louis de signer à son tour. Il accepte et montre une forme de sérieux sur son visage, dans son attitude. Il prend la feuille délicatement devant lui et signe à son tour.  Nous passons une heure dans un climat agréable. Je suis relativement surpris du calme constant de Louis. Les échanges verbaux sont rares et j’essaye de faire en sorte de ne pas être trop intrusif. C’est une façon de me faire discret, de le laisser vivre. Et d’un autre côté, je me dis que ce contrat ne doit pas être facile pour lui à tenir. C’est certainement beaucoup lui demander. 

J’accompagne facilement Louis dans les gestes nécessaires pour allumer l’ordinateur. La sensation de gêne que j’ai éprouvée la dernière fois est beaucoup moins présente. Nous construisons ensuite un avion en papier pour jouer avec dans la salle. Il est bientôt l’heure de descendre et je propose à Louis de s’asseoir pour éteindre l’ordinateur et ranger l’avion avant de partir.

« Et la vidéo ! C’est marqué dans le contrat ! T’as oublié ! » Me dit-il.  Je suis surpris par cette remarque, en effet j’en ai oublié le contrat…

« Tu as raison, c’est écrit et j’ai signé. Qu’est-ce que tu veux regarder comme vidéo ? » Il choisit un documentaire animalier sur les lions. Lorsque nous regardons  le documentaire, je lui demande discrètement « tu veux faire quel métier lorsque tu seras grand ? » il répond « je voudrais endormir les animaux pour les adopter et les protéger ». Il est temps de partir et je constate que le ton autoritaire de Louis n’est pas apparu durant toute l’heure. Avant de quitter la salle, il me dit : « Tu sais je fais du judo, je te ferais bien une prise mais ce n’est pas marqué dans le contrat ». Son taxi est là et aujourd’hui il s’en va sans encombre.

                                                Pierre B.

Ce texte est paru dans Sortir de l’impasse (L’Harmattan);on pourra y lire une analyse

Références : Dodson, Aimer sans tout permettre, chapitre 3 (Marabout) ; François Hébert, Chemins de l’éducatif, Carte n° 8 (Dunod)

WIKI : contrat éducatif ; écrit

Activités

quelles activités pour quels publics ?

voici une liste d’idées d’activités qui peuvent être particulièrement pertinentes pour tel ou tel public (et parfois avec les parents !) : en avez-vous d’autres ? Souhaitez-vous commenter une de celles-ci, l’illustrer par une anecdote en écho ?

La question se posera à chaque fois de la place de l’éducateur (animateur de l’activité, participant, témoin, pratique ne ricochets…). On n’oubliera pas pour la plupart des activités, y compris les séjours et les voyages, la question du travail avec la famille, les proches : comment les associer concrètement et/ou symboliquement à l’expérience de la personne ? (invitation à un spectacle, expo, photos ou films, correspondance…)

 

    • Cabanes : enfants, préadolescents (Mecs, foyers…)

    • Tentes (à l’intérieur ou dehors) : les enfants placés ont souvent besoin de se constituer « leur maison » par exemple avec des draps dans leur chambre (avec certains enfants psychotiques, cela leur permet d’avoir leur « abri », parfois dans les espaces communs…) ;

    • plantes (graines…) à l’intérieur ou dehors : c’est un domaine qui intéresse souvent les enfants ; pour les enfants placés (« transplantés » !), il prend souvent une signification particulière ; l’activité peut être collective ou individualisée (un enfant a ses graines, ses plantes…) ;
    • jardinage : migrants, insertion, parents

    • animaux : à l’intérieur (hamster, aquarium…) ou dehors (lapin, poney,…) Mecs, SDF, insertion

    • pêche (en mer ; en rivière) Enfants et jeunes placés,  (éventuellement avec la famille…)

    • mime : enfants, adolescents, MNA (voir rubrique JEUX) et toute personne (même adulte) ayant des difficultés de langue  psychotiques ; personnes sourdes

    • contes, histoires : enfants (coucher en MECS…), adolescents, adultes ; il existe une foule de livres supports, ainsi que des disques
    • activité intéressante avec toute personne d’origine immigrée (souvent de culture orale : elle a entendu des histoires étant enfant…) ; il sera souvent pertinent de l’aider (pas facile en raison de la langue) à raconter elle-même, à d’autres, des histoires de son pays ; on s’impliquera nous-mêmes comme « conteurs »
    • bibliothèque : on peut y apercevoir le choix que font les personnes, leurs centres d’intérêt…  (cf. « L’homme a besoin de passion », dans Sortir de l’impasse) ; le livre peut revenir à la maison et devenir un outil de travail indirect avec les familles : RECIT « Un livre pour toi » Le Fil du Récit n°5,
    • livres, récits supports à des échanges « philosophiques » : Philo Fables (Michel Piquemal, Albin Michel) ; cf. sites et livres d’animation de moments philo en classe pour tous les âges
    • quels livres pour quel public ? On peut donner le livre à la personne, le lire devant lui (pratique ne ricochets), lui lire… Exemples : Le petit prince (enfants placés...) ; la chèvre de Mr Seguin (enfants placés, Mineurs isolés...) ; le comte de Monte Cristo (détenus, jeunes PJJ…) ; livres de récits de voyage, aventure (détenus, jeunes PJJ) ; Azouz Begag : Le voleur d’écriture (jeunes de quartier...)

    • fabriquer des objets personnels (« objet-signature« , T. Lainé), éventuellement offerts à des personnes importantes pour l’enfant (parent…) Mecs...

    • Théâtre : enfants, adolescents difficiles, détenus, personnes handicapées…, sous des formes adaptées à l’âge (cf. rubrique « jeux ») : sketchs, théâtre forum, improvisations, mimes, montage d’une pièce : le théâtre sous toutes ses formes est une aventure globale d’une force incomparable (imaginaire, corps, jeu, relation à l’autre…). Il s’agit pour tous, particulièrement pour les adolescents de vaincre sa peur (la peur du regard de l’autre…), de rêver, de devenir « autre »…
    • Marionnettes (enfants et adolescents placés, psychotiques… ; mais aussi parents : en centre maternel, les mères font des marionnettes pour leurs enfants…)

      • escrime : intérêt des règles et des rituels (salut, costume…), et plus particulièrement du masque, qui cache, neutralise la différence sexuelle…  PUBLIC : adolescents difficiles, détenus... REFERENCES : vidéos sur you tube : Nelly Robin : travail avec des enfants des rues et des jeunes détenus, garçons et filles, à Thiès, au Sénégal (film de Nils Tavernier : De l’escrime à l’estime, une réponse à la récidive) ;

    • Tir à l’arc : concentration, silence, PUBLIC : jeunes hyperactifs, ITEP,

    • ping-pong : l’enfant, l’adolescent y joue parfois sa relation à l’autre (« échanges »), sa difficulté à accepter la défaite… voir ici RECIT : « Ma vie c’est comme le ping-pong »? ; PUBLIC : adolescents, adultes, mais aussi personnes  psychotiques (comme le tennis) : on y « jette » la balle à l’autre, mais sur la table, et on y est séparé par un filet REFERENCES : F. Hébert, Rencontrer l’autiste et le psychotique, p.
    • babyfoot : RECITS « La vie en jeu » dans Petites histoires de grands moments éducatifs ;

    • chevalenfants, adolescents (préadolescentes en particulier), personnes handicapées, équithérapie ; lien avec les parents (tiercé !)
    • trampoline : prise de conscience du corps dans l’espace ; figures… (accompagné par un moniteur ; tout public)

    • escalade : ENJEUX : ici je joue « ma vie » : je dois respecter les règles, assurer l’autre et être assuré par lui ; découverte de la nature ; dire et dépasser ses peurs sans honte : « tomber le masque sans perdre la face », symbolisme de « l’élévation » :adolescents (PJJ, placement…) ; jeunes aveugles (ils sont très performants pour sentir les prises…)
    • variante : voir texte dans rubrique ACTIVITES L’escalade arbre  
    • REFERENCES : F. Hébert, Chemins de l’éducatif, p. 62-3, 342, 349)
    • vol à voile (piloter un avion) : voir Deligny, Les vagabonds efficaces,  (Dunod)l’histoire de Jean qui en a envie de faire de l’avion, hésite (« la danse du larron devant l’occasion ») p. 218 à 221. Notons que dans cet exemple, il s’agit d’une activité individualisée. On peut retrouver ces enjeux (peur à surmonter, rigueur technique, « autre vision du monde ») avec d’autres activités :
    • parachutisme
    • spéléologie
    • piscine : tout public, autistes
    • plongée : jeunes placés, sourds (le monde du silence)

  •  

    • sorties ou « raids » de longue durée en groupe ou en individuel (jeunes PJJ, jeunes des quartiers…) : épreuve, voyage initiatique : traversée de forêt la nuit ; marche au long cours (en groupe mais aussi en individuel :  REFERENCES : association Seuil , livre de B. Ollivier « Marche et invente ta vie ») ; cf. aussi pratiques en scoutisme ou en animation : « explorations » : immersion dans un milieu naturel, accompagné, puis en autonomie…

    • variantes : séjours de rupture, voyages à but humanitaire : aider l’autre, plus démuni que soi… (dans un pays pauvre ; ou bien auprès de personnes handicapées)

    • apiculture : ENJEUX : rigueur technique, vie sociale des abeilles... PUBLICS : adolescents, toxicomanes…

    • premiers secours ENJEUX : rigueur technique obligée ; « sauver » l’autre, « être sauvé » par lui  PUBLICS enfants, adolescents, adultes : toxicomanes, détenus, structures d’insertion, SDF, chantiers école : stages bâtiment…)
    • socio-esthétique ENJEUX : image de soi, soin… PUBLIC : jeunes, personnes âgées, malades, handicapées

    • danse PUBLIC : adolescentes, mineurs non accompagnés, parents immigrés… ;  apprendre à danser nous-mêmes les danses du pays d’origine de la personne, du groupe
    • jonglerie (adolescents, autistes…)
    • magie (adolescents, psychotiques…)
    • cirque : jeux d’équilibre, trapèze etc. (autistes, enfants, adolescents, Mineurs non accompagnés…)

    • Photos ; sortie photos (enfants placés, insertion, SDF, psychotiques, personnes âgées) : donner un appareil à la personne : on va voir comment les personnes voient le monde, la ville… ; autoportraits ; beaucoup n’ont jamais tenu un vrai appareil ! (avec les enfants, on peut leur donner une feuille A4 évidée qui forme un cadre comme pour un tableau : ils vont choisir leur cadrage avant de faire la photo)
    • aller voir dans la chambre de la personne les photos affichées (ou au domicile) et dans le secteur du placement, ou du handicap : travail avec les photos de famille de la personne/ de plusieurs : cahier de vie ; encadrer les photos ensemble avec les personnes ; photographier parents et enfants ensemble ;

    • Dessin, peinture, terre : tous publics : dessiner seul devant l’autre (pratique en ricochets : tous publics, en particulier les jeunes psychotiques, handicapés mentaux...) ; faire le portrait de l’autre ; autoportrait ; les empreintes (écorces d’arbres…) ; dessiner les ombres des personnes ou faire les contours du corps allongé par terre ; le dessin en aveugle (visage…) ; mandala : (enfants hyperactifs, adultes…) ; permet des échanges indirects sans se regarder…

    • Photographier, dessiner nos ombres (de nos corps, de notre profil…)

    • Chanson: (rap, slam : adolescents) ; chansons et berceuses de mon pays (enfants, personnes immigrées)
    • Comptines : petits enfants, autistes, jeunes sourds, polyhandicapés (même adolescents)
    • atelier d’écriture : enfants, adolescents, détenus, personnes psychotiques...
    • jeux de console : permet même à des personnes âgées de « faire du sport » et de faire « comme leurs petits enfants » ;
    • aller sur google-map et inviter la personne à « nous emmener chez elle » (personnes migrantes, enfants et adolescents placés ou handicapés…) ; l’éducateur peut emmener l’autre « chez lui » (ses racines, sa région…)

Toxicomanie

    • apiculture : rigueur technique, vie sociale des abeilles, dangers de la piqûre

    • écriture : journal intime, correspondance avec les proches, atelier d’écriture créative (les toxicomanes ont souvent un rapport fort avec l’écriture)

    • sorties dans la nature, escalade, raids (en groupe ou en individuel, à la montagne : beauté, force de la nature, solidarité…)

    • apprentissages des premiers secours (les toxicomanes sont souvent en danger, et leur milieu est souvent peu aidant !)
    • Mandala : la personne se pose, se concentre…
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insertion :

    • faire une activité menée par une personne accompagnée compétente dans ce domaine (voir dans catégorie « activités » les exemples : cuisine, informatique)

    • refaire avec les usagers une pièce de l’institution (enfants, jeunes, adultes en insertion : ils ont des compétences : voir texte dans rubrique « activités »)

    • couture ; broderie (femmes d’origine kabyle par exemple : la broderie est importante chez elles) : voir récit « broder la relation » et « Qu’est-ce que tu sais faire de bien, Samia ? »
    • activité « premiers secours » : enfants placés, toxicomanes, détenus, SDF, jeunes difficiles, insertion (voir texte ici dans rubrique « l’aidant aidé« )
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Activités

le cahier de dialogue

FONCTIONS ET INTERÊT DE L’ECRIT DANS LA PRATIQUE ÉDUCATIVE : l’éducateur instaure un dialogue quotidien par écrit avec un enfant handicapé (traits autistiques) ; on pratique parfois sur le même principe le cahier de placement : le référent (ou un substitut) a un entretien hebdomadaire avec un enfant (jeune) placé : on y fait le point sur la semaine (ce qui va, ne va pas…), sur ce que l’équipe veut dire à l’enfant et inversement ; l’enfant peut y écrire, dessiner ; le référent écrit le contenu du dialogue ; le cahier est gardé dans le bureau des éducateurs, il sera remis à l’enfant à son départ

Je suis éducateur de jeunes enfants en pédopsychiatrie en hôpital de jour et j’ai travaillé auparavant en IME durant 1 an et demi. Je voudrais raconter ma rencontre avec Nael, un garçon de 11 ans que j’ai accompagné lorsque j’étais IME. Je vais le présenter avant de détailler son accompagnement par l’intermédiaire de l’écriture et d’expliquer les différentes fonctions qu’a eues le récit dans mon travail avec ce jeune et pour ce jeune.

I-Une médiation peu mise en évidence dans notre pratique quotidienne :

Nael est un jeune très attiré par la rencontre avec les personnes mais il se trouve aussi très empêché dans le langage et dans la relation à l’autre. Il lui arrive de temps en temps de verbaliser des mots qui semblent faire sens pour lui dans les conversations des adultes mais pas plus. Il me donne l’impression d’un jeune « adhésif » : lorsque vous détachez votre attention de lui, cela déclenche chez lui des cris aigus très intenses, une auto agressivité (il se mord la main) et il est extrêmement difficile de rétablir l’équilibre pour échanger avec lui. Ma stratégie a longtemps été alors d’éviter au maximum les contacts avec lui tellement nos moments de rencontres étaient explosifs et douloureux tant pour lui que pour moi. D’ailleurs, mes difficultés avec lui étaient loin d’être uniques au sein de mon équipe.

En effet, Nael met souvent rapidement toute l’équipe éducative à mal et cela ne va pas beaucoup mieux à la maison (il a un frère atteint de la même pathologie mais ayant une déficience plus sévère). Une proposition d’essai d’internat lui est faite/imposée par l’institution (obligation budgétaire !). Le résultat de ces nuits d’essai est à l’image de l’état interne de Nael : chaotique (sa chambre est recouverte d’excrément sur les murs, etc.).

Ce jour-là, l’équipe d’éducateurs de l’internat le sermonne sur son comportement, puis son éducateur référent prend le relais en lui reprochant à nouveau son comportement inacceptable. Comme à chaque fois dans ces moments-là, Nael est quant à lui dans une sorte de tension interne et d’épuisement manifestes. Pour une fois, je sens que le moment est opportun pour moi : je m’arme, comme pour me protéger, de mon cahier d’observation et lui dis d’un ton calme: « Viens Nael, on va aller discuter de ce qu’il s’est passé à l’internat ». Je lui explique que ce cahier, c’est pour l’aider et qu’on va écrire toutes nos conversations dedans. Nous nous asseyons, je lui pose une première question : « Comment ça va ? » Pas de réponse mais un énorme soupir. « C’était bien ou difficile cette nuit à l’internat ? » il me regarde alors et dit en levant la tête : « Difficile… » Je continue alors de lui poser d’autres questions plus légères sur sa famille, comment il dort, ce qu’il aime manger (Nael adore manger !). J’écris au fur et à mesure mes questions et ses réponses. Il ressort de ce moment serein, comme enfin soulagé d’avoir eu une écoute accessible et un échange.

La première fonction de ce dispositif était là : un lieu de rencontre neutre permettant une expression et un espace de réappropriation de son vécu. Lécriture avait une fonction structurante pour l’enfant : un moyen de restreindre, filtrer et de rendre intelligible les flux d’information du quotidien. Un temps et un espace d’élaboration pour lui (je remarquais l’intensité de la concentration de Nael, malgré sa fatigabilité après ses séances). Une manière d’intégrer son histoire de vie et les émotions traversées dans sa vie quotidienne : comment faire avec son vécu.

C’était un langage matérialisé, concret, intelligible, délimité, signifié et signifiant qui jouait le rôle de tiers régulateur émotionnel (on parle, j’écris, les silences s’inscrivent dans les cahiers par des blancs, quand on finit d’écrire ce qui est parlé). Je note tous nos dialogues, j’essaie de rebondir de manière ouverte aux mots qu’il propose et à la fin, je lui relis toute notre conversation et je relis à nouveau les parties qu’il souhaite réentendre.

II- Les vacances scolaires passent, et la chef de service insiste pour qu’il retente une nouvelle période d’essai de 3 mois (une fois par semaine) à l’internat. En journée, son quotidien ne s’améliore pas, son rapport avec nous est toujours « animé » par ses cris et ses morsures qui nous excédent ; bientôt les activités éducatives et les quelques prises en charges paramédicales sont abandonnées au motif qu’il n’est pas bien et que c’est trop difficile pour lui. Cela génère un isolement important pour l’enfant, et  accentue encore ses difficultés avec les adultes car de moins en moins de médiations lui sont proposées.  Mais c’est pour moi une ouverture : j’ai envie de retenter l’aventure du cahier.

Je décide donc de lui proposer chaque jour un temps de « discussion sur cahier » de 30 min. Tout le monde est partant, si toutefois Nael ne s’y retrouve pas en crise. Cela durera 6 mois… Nous avons ainsi rempli deux cahiers de nos échanges. Pour faciliter ses initiatives dans les conversations, il avait à disposition des pictos illustrant 5 émotions ainsi qu’un trombinoscope des adultes et des enfants présents sur son groupe. Passé ce temps de rencontre, la mise en récit de nos dialogues a pris une nouvelle fonction : celle de médiation de ses relations sociales.

Fonction de la mise en récit : Un espace de médiation des relations sociales de l’enfant

  1. Avec les professionnels de l’institution :

Observation : « Je travaille de soirée ce jour là et j’arrive donc sur le groupe de vie en début d’après midi. L’ambiance est plus pesante que d’habitude, j’aperçois un de mes collègues rivé sur l’ordinateur, je le salue, n’obtiens pas de réponses, et je pars dire bonjour aux enfants. J’aperçois Nael seul dans un coin, en train de crier tout en se mordant la main. Je lui propose de venir discuter un peu. Aussitôt il se mobilise, prend le cahier, un crayon et tout le nécessaire  habituel (trombinoscope, classeur PECS avec ces pictos d’émotions).

Nous choisissons une table dans une petite pièce isolée ; nous installons le cahier et nous nous asseyons. Après nos rituels habituels (Ecriture de la date du jour, intitulé de la conversation : «  Discussion entre Naël et Damien » ; objectif : pour grandir et discuter », nous entamons la conversation :

« Comment ça c’est passé ce matin » ? Nael me signe avec la main « triste » en mimant qu’il s’essuie une larme.

« Ah bon ? Et pourquoi ? »

 Nael me montre le picto « en colère »

«D’accord, mais qui était en colère ? » Il me pointe alors Georges (son éducateur référent) et  me dit ensuite « Ali »

J’écris ses propos mais je suis un peu perdu car il me pointe un éducateur en photo (Georges) tout en nommant le nom d’un autre éducateur qu’il ne croise quasiment jamais habituellement ce jour de la semaine…

Je lui réponds alors : « Je suis désolé Nael mais là j’ai du mal à comprendre ce que tu me racontes, tu me montres Georges et tu me parles d’Ali… Est ce que tu veux qu’on demande à Georges de venir nous aider à mieux comprendre ?

Nael répond d’une petite voix : « Georges »

Je pars voir Georges qui était assis à l’ordinateur et lui demande s’il veut bien venir « discuter » avec nous parce que Nael essaye de me raconter une histoire mais je ne comprends rien. Georges accepte sans dire un mot et vient nous rejoindre en s’asseyant à côté de nous, je reprends ma place à côté de mon cahier et j’enchaîne (en regardant Georges) : « Alors nous discutions de la matinée avec Nael et il m’a dit « En colère ». Il t’a pointé, mais a ensuite parlé « d’Ali ». (Nael est très concentré et baisse légèrement la tête en regardant furtivement Georges)

C’est alors que Georges commence à nous raconter sa matinée :

« Oui ce matin ça c’est mal passé, j’étais énervé après Nael, il n’a pas arrêté de crier et moi je n’en pouvais plus alors j’ai bien dit à Nael que c’était pas possible de hurler comme ça. On est allé voir Ali parce que je sais que ça le calme rapidement et Nael a terminé la matinée sur son groupe. »

Durant tout ce moment Nael est resté les yeux fixés sur son référent et l’écoutait avec une grande attention. Georges me semble plus léger dans sa voix après avoir lâché sa colère…

Je reprends alors ses propos en disant à Nael : « C’était difficile pour Georges ce matin d’être avec toi Nael car quand tu n’arrives pas à parler avec nous et que tu cries, ça peut nous énerver très rapidement… Mais ça avait l’air difficile aussi pour toi Nael de ne pas te faire comprendre… ». (Je laisse ma phrase en suspens)

Nael prend sa respiration et d’un souffle dit : «Difficile ».

Georges est étonné (c’est le premier mot que Nael prononce en sa présence) puis reprend d’un ton enthousiaste : « On a besoin que tu puisses nous dire des choses comme ça, c’est important pour qu’on puisse t’aider à grandir, de dire que c’est difficile pour toi »

Nael alors esquisse un sourire en coin et répète à tue tête « à gandir » (« grandir », Nael le prononçait de cette manière) et Georges reprend en souriant : « Oui ç’est ça, à grandir Nael parce que tu es grand maintenant !»

Georges part quelques instants plus tard, comme soulagé lui aussi d’avoir pu transmettre le récit de son vécu à Nael…

  • Avec les autres jeunes que l’enfant côtoie au quotidien :

Le récit, un tiers régulateur dans les conflits et un lieu de reprises à froid des évènements importants du quotidien de chacun (éducateur et enfant)

( Texte non inséré  pour la conférence – si tu veux, je peux te le pré-rédiger , on s’en parle demain  )

III- LA MISE EN RECIT DE LA PAROLE DE L’ENFANT : RECONNAITRE L’ENFANT ET SES CHOIX DANS L’ELABORATION DE SON PROJET DE VIE AU SEIN DE L’INSTITUTION

Plus concrètement dans le cahier de vie de Nael, cela s’est traduit par l’écriture de cette phrase percutante de l’intéressé « Nael, Dodo, A Maison !».

 Observation : « Après un essai d’internat d’une nuit par semaine durant de 3 mois, une coordinatrice demande à l’éducateur référent de l’enfant de lui donner son avis sur le maintien ou non de l’internat pour Nael. L’éducateur référent me demande mon avis et me dit, d’un ton assuré : « Ca a l’air moins pire qu’avant j’ai l’impression, je pense que ce serait bien pour lui de continuer». Je lui réponds : « Ecoute, dans mon cahier avec Nael, j’ai un tas de conversation où il me parle de l’internat, si tu veux je te fais un petit rapport où je te réécris tout ce qu’il m’a dit et après je te donnerai mon avis personnel : on a qu’à tous mettre les nôtres ». » « Ce serait super » me dit-il. Je replonge alors dans le cahier, extrais chaque propos concernant l’internat en signalant la date et commence à monter ce petit dossier. Les autres éducateurs de l’équipe le lisent et prennent connaissance des avis de l’enfant sur ses moments d’internat et chacun y expose son interprétation.

Nous montons alors un écrit de 5 pages relatant l’évolution du vécu de l’internat pour ce jeune et les hypothèses sur ces évolutions selon chaque membre de l’équipe (ex : la présence de tel éducatrice lors de soirée, la manière d’accompagner le sommeil et le repas du jeune, existence de veillée ou non). Nous apercevons que ses impressions sont assez fluctuantes en fonction des périodes et des personnes lors de ces nuits.

 « Il ne nous manque plus qu’une chose dis-je à son référent pour envoyer ce dossier à la commission de l’internat : demander l’avis à l’intéressé ». Le lendemain, lors de notre temps de « conversations cahiers », j’explique à Nael que dans quelques jours, la coordinatrice, la chef de service et ses parents vont réfléchir pour voir s’il continue ou non l’internat. Je lui demande alors : « Et toi Nael, tu voudrais faire quoi ? Dormir à l’internat ou à la maison ?»

Nael relève le torse et dit avec une certaine tension dans la voix « Nael , DODO, A MAISON ». Je note ces propos surpris de leur clarté et je me rends compte que c’est la première fois qu’il prononce une succession de 3 mots. « Très bien, je lui dis, c’est noté, je vais donner ta réponse « Dodo à la maison » à la coordinatrice, comme ça elle connaitra ton avis et je te dirai ce qu’ils ont décidé ». 

Quelques jours plus tard, la commission, après avoir eu connaissance de notre dossier et de l’avis de la famille, a décidé de suivre l’avis de l’enfant. Son éducateur référent vient alors me voir et me dit : «Tu te rends compte, depuis que je suis là (15 ans), c’est la première fois qu’on a porté la parole d’un enfant aussi haut ».

Une alliance éducateur-enfant qui engage : L’éducateur doit se positionner au service de l’écrit, et porter la parole de l’enfant au vu du pacte de confiance : retranscription exacte et du non jugement des propos de l’enfant

Observation 3 : « Je me préparais à quitter l’institution pour changer de travail, j’en avais parlé aux enfants et soudain, durant un temps informel d’un jeudi matin, Nael se met à chercher et fouiller dans toute la pièce de vie sans raison apparente. Il cherche, cherche et va même fouiller sur le bureau des éducateurs (ce qui lui était interdit et qui lui a coûté plusieurs fois quelques réflexions bien senties) et finalement, sort d’une pile de documents en désordre  son cahier de conversation. Il le brandit en l’air et s’écrie d’une voix forte en me fixant du regard avec un large sourire :  » Discuter, Discuter !!! » » .

 Damien L., éducateur de jeunes enfants.

voir wiki : médiation (activité) ; écriture

Plan

Ce site propose un échanges de pratiques, au travers de récits de moments-clés, de pistes de jeux ou de projets, de petites idées pour les temps du quotidien. Le wiki propose un glossaire concernant des façons de faire, des stratégies possibles. Les écrits de formation sont par exemple des mémoires d’éducateurs spécialisés ou de jeunes enfants, des notes de réflexion de Moniteurs-éducateurs, etc.

Récits

Raconte-moi ta maison

Problème : un enfant a perdu son père ; comment l’aider à s’endormir ?

Le cadre : une maison d’enfants.

C’est la rentrée. Sur le groupe de neuf enfants de six à douze ans, il y a cinq nouveaux.

Au dîner du deuxième jour, les enfants parlent chacun leur tour. Ce ne sont pas des présentations, mais un petit morceau de leur vie qui sort de leur bouche. Très vite, ils s’énervent et les pleurs de la séparation avec la famille commencent avec le soir qui arrive…

Pour calmer le jeu, avant que la tristesse ne gagne le groupe tout entier, nous leur proposons de raconter une histoire, celle qu’ils veulent.

Voilà que Christophe, le plus petit du groupe, qui est déjà ancien car il est arrivé l’an dernier, prend la parole :

  • Moi, je vais vous raconter une histoire. C’est un monsieur qui était très malade. Il est couché dans son lit, et un jour, il se lève pour aller à son bureau, il tombe. Il dort très fort, il est mort.

Les enfants l’écoutent avec attention, et d’ailleurs les pleurs ont cessé. Christophe reprend :

  • Ce monsieur là, c’était mon papa.

Là, les enfants sont médusés. Ludovic – c’est lui qui pleurait – intervient :

  • Tu devrais pas dire des choses comme ça ! C’est triste ! C’est vrai que ton papa il est mort ?

Christophe se défend :

  • Si on peut en parler ! Hein c’est vrai ? dit-il en se tournant vers moi.
  • Bien sûr que tu peux en parler, c’était ton papa !

Les enfants, pensant le réconforter, lui posent la question :

  • Quand même, tu vois ta maman ?
  • Non, ma maman elle est restée en Afrique, et je la verrai plus jamais.

Un silence, tous les enfants se taisent, un grand blanc s’installe.

Puis chacun va raconter un petit bout de son histoire personnelle. Le moral n’est pas au beau fixe, mais ils s’écoutent et respectent la parole des autres. Il faut dire que Christophe les a calmés, avec son histoire !

Le soir, à l’heure du coucher, c’est l’angoisse… Tous les nouveaux ont un coup de blues. Les autres arrivent de vacances chez leurs parents et sont perturbés. J’essaie de les apaiser un peu avec une histoire, un câlin…

Christophe pleure dans son lit. Je vais le chercher et je le prends à part dans le salon. Nous nous installons pour un câlin et Christophe étouffe dans ses sanglots.

  • Je veux voir mon papa… J’en ai marre d’être ici… Je veux rentrer chez moi…

Mais c’est où, chez lui ? Quelle est la représentation qu’il a de son « chez lui » ? Dans ma tête je me pose la question… Mais que répondre à ce petit bonhomme en mal d’amour ?

Je lui demande : « Tu te rappelles ta maison en Afrique ? »

Et curieusement, ça le calme. Il me raconte sa maison, avec sa porte blanche, sa chambre bleue, la voiture de police qui avait une sirène…

Il ne parlera pas de sa maman. Raconter l’a apaisé. Il me dit : « Tu sais, Claude, mon plus beau rêve, ce serait de revoir mon papa ! »

Quelques instants plus tard, il s’endormait.

Claude, Monitrice-Educatrice

WIKI : empathie

Récits

Chantons sous l’orage du dimanche soir

problème : comment apaiser tous les enfants au moment de l’endormissement ?

Un dimanche soir, dans un foyer qui accueille des jeunes placés sur décision judiciaire. Nous sommes Christophe et moi de permanence sur le groupe des plus jeunes, des enfants de 6 à 9 ans. Nous sommes deux jeunes éducateurs ; Christophe a un peu plus d’expérience, moi, je viens du monde de la petite enfance et je passe mon diplôme d’ES en alternance, tout en travaillant dans ce foyer.

Nous redoutons le dimanche soir. Parmi ceux qui ont pu rentrer dans leur famille, certains vivent difficilement cette séparation et le retour au foyer. Pour d’autres, c’est un soulagement de rentrer à l’abri car c’est ce qu’ils ont vécu durant le week-end qui blesse… Quant à ceux qui sont restés à l’internat durant ces deux jours, le départ et retour de leurs copains  ravivent la souffrance de l’absence. Le dimanche soir est explosif !

Ce soir, ce dimanche soir, l’orage fait rage à l’extérieur. Le repas avec huit enfants a été difficile. Les enfants sont énervés, ne cessent de se lever, de crier…  Et nous en attendons trois de plus pour le coucher. Ils doivent arriver vers 20h30. Mais pas d’éduc supplémentaire. Le travail du dimanche est plus onéreux pour l’institution, alors on réduit la voilure…

Le vent tempête derrière les vitres.

J’ai la boule au ventre, je hais le dimanche soir…

Les trois petits derniers arrivent enfin. Juste le temps de les accueillir, brossage de dents et pyjamas : il y a école demain.

Trois chambres de trois et une chambre de deux.  Deux chambres de garçons, deux chambres de filles…

Nous sommes deux éducs… quatre bras, quatre yeux, pas plus !

Et l’orage qui crache sa colère qui fait écho à celles des enfants. Nous passons tour à tour dans chaque chambre, histoire, bisous, câlins, rituels…bonsoir.

Nous sommes à peine sortis des chambres que les premiers pleurs retentissent. Eva est en larmes et gémit qu’elle a peur. Je m’installe à ses côtés. Dans la chambre voisine, le chahut commence, j’entends Christophe s’y précipiter. Oh, je sens que ça va être très chaud ce soir… Je reviens vers Eva. Cette fois, c’est d’une autre chambre que j’entends fuser des rires nerveux. Je dis deux ou trois mots à Eva et vais voir ce qu’il s’y passe, mon collègue toujours occupé à calmer la chambre adjacente. Jasmine est debout sur son lit, pantalon de pyjama sur les chevilles et montre ses fesses rondes à la chambrée. Je la gronde un peu, remonte son pantalon, puis la prends dans mes bras pour la recoucher. C’est alors que la foudre tombe tout près, dans un fracas d’enfer ! Une grande partie des enfants se précipitent sur nous hurlant de terreur, d’autres courent en tous sens en criant et riant nerveusement. Nous sommes totalement débordés !

Peu à peu, nous parvenons à maîtriser la situation en rassemblant tout le monde sur le grand canapé d’angle de la salle de vie, parfois de force, il est vrai. Christophe lit une histoire aux enfants. Dehors l’orage s’éloigne un peu, mais reste bien présent. Visiblement, sa voix les rassure. Il est assis au milieu d’eux, deux sur les genoux, d’autres collés à lui, Je suis en face avec également un enfant sur chaque cuisse. Quelques-uns restent à distance. Le calme est revenu, mais comment allons-nous faire pour les recoucher ? Toujours cette boule au ventre… J’observe et réfléchis : La plupart des enfants cherchent notre contact pour se rassurer. Une fois dans leur lit, il nous est impossible de répondre à ce besoin à nous deux. Par ailleurs, la voix de Christophe a de toute évidence une action apaisante… Et si on chantait ? Peut être que nos voix pourraient remplacer nos bras ?

A la fin de l’histoire, je dis aux enfants : « Maintenant vous allez vous coucher et quand vous serez tous au lit nous vous ferons une surprise… » Mon collègue me regarde d’un œil interrogateur. Les enfants s’éparpillent comme une volée de moineaux en direction de leurs chambres respectives. J’en profite pour expliquer mon idée à Christophe. Ouf, il adhère ! Nous démarrons avec « Au clair de la lune ». Nous chantons fort pour couvrir le bruit de l’orage et pour que tous les enfants nous entendent. J’entends quelques « c’est ça la surprise ? pff, c’est nul ». Mais personne ne crie ou ne se relève. Ma propre « angoisse du dimanche soir » s’est volatilisée, le chant forçant ma détente en modifiant ma respiration. Toujours un léger brouhaha mais les enfants ne s’excitent plus, ils chuchotent. Je repense au film « trois hommes et un couffin » et à ce moment culte des trois « pères » entonnant cette comptine en canon au-dessus du berceau de l’enfant. Je fais signe à mon collègue de continuer à chanter, m’arrête et reprend en canon avec la deuxième voix. La magie opère, les enfants se taisent, le dernier mot est celui de Jasmine : « C’est beau ! ». Quinze minutes plus tard, tous les enfants dorment et Christophe et moi, nous sommes heureux de ce moment partagé. Finalement, il n’était pas si terrible que je craignais, ce dimanche soir….

Véronique D. (Educatrice de jeunes enfants et éducatrice spécialisée)

WIKI : rituel

Récits

Le poupon magique

Problème : l’enfant « abandonné » par ses parents, me demande d’être sa mère…

Julien est ce genre de gamin qui a l’art et la manière de se mettre tout le monde à dos, de se faire rejeter par tous. À tel point qu’il a réussi à se faire exclure de l’école primaire française traditionnelle et… d’un hôpital de jour !!!

Mes collègues ne le supportent guère mieux, tant ses cris, colères, provocations en tous genres, épuisent les plus chevronnés.

Et pourtant, nous avons lui et moi, malgré nos bagarres fréquentes, une relation pleine de tendresse et de respect…

Alors que ses parents n’ont pas donné signe de vie depuis 3 mois, un soir, au moment du coucher, Julien m’appelle à ses côtés. Il me prend la main et demande :

– Dis, si mes parents ne reviennent pas, tu voudras bien être ma maman et Christophe – l’éducateur du groupe – mon papa ?

Et me voilà donc, moi, l’éducatrice, prenant un ton professionnel pour lui expliquer qu’il n’aura jamais qu’un papa et une maman, quoi qu’il arrive et quoi qu’il fasse. Et que, s’ils ne viennent pas en ce moment, c’est sûrement qu’ils ont beaucoup de problèmes, mais qu’ils l’aiment… et bla bla bla, et bla bla bla…

Alors Julien me coupe la parole, visiblement un peu agacé :

– Bon d’accord, tu peux pas être ma maman, mais alors, tu veux bien être ma grand-mère et Christophe mon grand-père ?!!!

Ayant bien saisi que je n’avais pas répondu, très mal à l’aise, quelque temps plus tard je lui ai offert un poupon sur le corps duquel, sous les habits, comme un secret, j’ai écrit :

« Je suis un poupon magique.

Aussi longtemps que tu le voudras,

Chaque fois que tu me regarderas,

Que tu me prendras dans tes bras,

Tu sauras que Véronique pense à toi,

Où que tu sois,

Où qu’elle soit,

Tu auras toujours une place dans son cœur. »

Il a pris le poupon, l’a placé dans son lit. Par la suite, souvent, après les colères, lorsqu’il pleurait, il allait le retrouver. Parfois tout de même, dans les moments de crise, il jetait le poupon ou le mutilait un peu. Mais toujours, il le récupérait…

Depuis, Julien a quitté le foyer, avec son poupon, pour une autre struc­ture. Je sais que ce poupon n’a plus guère de cheveux. Mais jamais Julien n’a détérioré son corps ni les mots qui y sont inscrits…

Véronique D. [éducatrice spécialisée)

Texte paru dans le livre Petites histoires de grands moments éducatifs (L’Harmattan) ; on peut y lire une analyse et des citations

WIKI : empathie, jeu (imaginaire), écrit

Qui n’a jamais reçu d’un enfant placé cette question : « Veux-tu être ma mère (mon père) ? », lorsqu’on ne nous appelle pas spontanément « papa » ou « maman » ... Comment répondre ?

Qu’on ne s’y trompe pas : ici, cessant de répondre de manière défensive (« je suis ton éduc, pas ta mère »), Véronique endosse bel et bien le rôle de la mère, celle qui sera « toujours là ». Mais pas n’importe comment : elle propose un substitut d’elle-même qui permettra à l’enfant d’accéder à une « présence de l’absent ». Elle l’invite à un espace imaginaire dans lequel la réalité devient acceptable. Elle propose une situation énigmatique qui va permettre à l’enfant de travailler sa demande d’amour au fil de scénarios tendres ou agressifs …envers le poupon ! (sans ce dernier, qui aurait subi tout cela ?).

Il faut ajouter que le recours à l’écrit engage quasi-contractuellement l’éducatrice dans une présence inconditionnelle symbolique auprès de Julien. Une manière de rappeler que le texte permet de donner quelque chose de soi-même, au-delà des règles admises de la « bonne distance ».

« Nous défendons l’idée que l’éducateur doit accepter d’être ainsi « convoqué » à une place de mère dévouée, mais qu’il doit aussi accepter d’en faire le deuil, deuil de l’idéal, deuil de l’illusion de pouvoir se substituer  à ce qui, définitivement, a été perdu pour l’enfant (…) L’éducateur met ainsi en place les conditions pour qu’une relation au quotidien soit potentiellement transitionnelle, pour qu’elle puisse être investie par l’enfant de façon transitionnelle (…) Quelque chose est donné à entendre à l’enfant, qui peut ainsi aider en lui le travail de deuil de l’illusion ».

Fustier, P. (1993) Les corridors du quotidien, Presses Universitaires de Lyon, p.54-55

« Donner une lettre en guise de « viatique » est un cadeau qui peut être précieux au moment où on se sépare. […]. L’écriture est effectivement une médiation authentique : elle opère distance et rapprochement et favorise le travail de l’absence. »

Hébert, F. (2012) Les chemins de l’éducatif, Dunod, p.402-403