Contexte : Institut de rééducation (aujourd’hui ITEP)
Cette année je ne suis pas attribué à un groupe de vie, j’ai un statut « d’éducateur institutionnel ». Ces jeunes sont pour la plupart internes et scolarisés dans l’institution. Leur intégration au sein de l’établissement est basée sur une durée maximale de 3 ans. J’interviens sur plusieurs groupes de vie, 3 au total. Ce poste me permet d’avoir des prises en charge auprès des jeunes de différentes tranches d’âge (10 –16 ans), et de ne pas me cantonner à un mode de prise en charge car j’interviens sur différents groupes de vie. Je connais plus de jeunes (en moyenne une quarantaine) mais je ne connais pas en profondeur la ou les problématiques de chacun. Je ne connais pas l’histoire du jeune, je ne suis pas référent, je ne fais pas un travail de fond avec chacun. Ce sont plus des prises en charge au jour le jour, de manière ponctuelle ou sous forme d’ateliers (VTT, escalade, parcours aventure et transfert..). Je n’ai pas un suivi avec les familles, pas de « réunions de famille » et cela « me manque ». Ayant travaillé sur des groupes de vie les années antérieures, j’étais amené à travailler avec les familles lors des « réunions de famille », une par mois et par jeune. Ces réunions de familles étaient le moyen de garantir le suivi du projet individuel et familial du jeune. Mon travail consistait aussi à mettre en place lors des entretiens de famille une relation de confiance entre les différents professionnels institutionnels. C’était l’instant où j’avais plus d’informations concernant le jeune. Ceci m’aidait dans le travail quotidien et me permettait une approche plus pertinente avec le jeune.
La scolarité
Le groupe scolaire est composé de 5 classes du type 6ème et 5ème. Ces classes sont déclinées de la manière suivante : 3 classes de 6ème et 2 classes de 5ème. Le niveau de chaque classe ne correspond pas à un niveau de cursus scolaire normal, ce sont toutes de classes dites adaptées. L’effectif des classes est de 8 à 10 élèves, ce qui diminue mais n’évite pas les passages à l’acte ainsi que les conflits.
Les 5 classes intégrées proposent un rythme et une densité scolaire (production, programme, contrôle régulier) qui préparent les jeunes vers un cursus scolaire « normal » (C.F.A, collège, S.C.E.P.A).
- Certains élèves suivent des cours avec des enseignants d’autres classes que la leur (intégration progressive).
- Quelques élèves poursuivent un soutien ré-éducatif sous forme de séances régulières.
- Deux enseignants utilisent l’informatique pour l’enseignement.
Le travail d’équipe pluridisciplinaire (professeurs, éducateur scolaire, ré éducateurs), et leur coordination favorisent des projets communs ainsi qu’une diversité des méthodes de traitement de l’échec scolaire. C’est un travail transversal entre l’équipe des éducateurs et celle des professeurs. Des réunions de travail éducateurs-professeurs sont mises en place à raison d’une fois par mois. Ces réunions sont nécessaires pour un travail de liens, d’échanges entre les équipes. Elles permettent aussi de faire le point sur les acquis de jeunes tant au niveau pédagogique, qu’au niveau éducatif. De mettre en place des projets pour faire évoluer de manière positive une ou des situations difficiles du jeune. Ces réunions sont le moyen de faire tomber les clivages au sein des équipes pluri-professionnelles. C’est l’intérêt d’une collaboration active entre professionnels que je vais aborder.
Le projet Escalad’arbre
- Projet inscrit dans la scolarité
Ce projet d’activités rentre dans le projet institutionnel et pédagogique mais il est également le fruit d’un travail commun entre les professeurs et les éducateurs. Face aux problèmes incessants rencontrés en classe : conflits entre élèves, tables et chaises qui volent dans la classe, carreaux cassés…, il fallait trouver un remède afin que la scolarité change et afin que ces jeunes se réapproprient autrement le scolaire.
Nous devions leur redonner une appétence scolaire mais sous une autre forme que la scolarité traditionnelle, « magistrale », sans pour autant les couper du scolaire.
Nous en avons déduit (l’équipe enseignante et l’équipe éducative), après plusieurs réunions de travail, l’intérêt d’intégrer des activités sous forme d’ateliers sur le temps scolaire. Une sorte de « classe relais » où un travail transversal s’amorce entre les deux équipes pour faire disparaître les clivages « profs-éducs ». Pour que les jeunes sentent qu’on leur transmet quelque chose, non pas sous la forme d’apprentissages traditionnels (le prof a le savoir, l’élève apprend) mais sous une forme plus ludique. Une classe qui devient un lieu d’échanges, de vie, de paroles, pour faire avancer, évoluer le jeune vers son apprentissage.
Nous avons donc mis en place quelques ateliers comme par exemple :
L’atelier de récupération : comme son nom l’indique, les jeunes ont pour mission d’aller glaner des objets hétéroclites avec le concours de la prof de dessin et une éduc, pour en faire des objets de décoration pour le foyer de l’institution.
L’atelier pêche et nature : les jeunes découvrent le milieu aquatique dans son ensemble : les différents milieux aquatiques (mer, lac, fleuve, rivière, étang…), et également la faune, la flore lors de journées pêche.
L’atelier jardinage : Lieu de culture, de semailles mais également de calculs de surface, de linéaire avec le prof de math, le jardinier et un éduc. Les jeunes ont la possibilité de revendre leurs récoltes au personnel pour alimenter les achats de graines en tout genre.
L’atelier escalad’arbre : atelier que nous avons développé, le professeur de français et moi-même. L’objectif était à la fois simple et difficile à mener : permettre au jeune, à l’élève de réapprendre autrement. Le prof de français avait des connaissances sur la faune et naturellement son apport pédagogique de la matière était d’un grand recours. Et moi j’apportais toute la partie technique de l’activité.
Nous avons divisé le groupe classe en deux. Un groupe en activité et l’autre en classe durant ½ heure et ensuite on inversait les rôles. J’intervenais en classe et le prof en milieu naturel. Les jeunes devaient une fois en classe produire un écrit de quelques lignes en lien avec la séance ou sur la séance de la veille.
Quant à l’activité en elle-même, les élèves devaient réaliser des ateliers dans les arbres pour passer d’arbre en arbre et y monter en toute sécurité. Etait travaillés la maîtrise de certains risques, le respect des règles de sécurité et le respect d’autrui ainsi que de la nature. Dans cette activité était également recherché le travail en collaboration. Une collaboration élève/élève, prof/éduc et prof/élève, éduc/élève. Un travail en commun était ensuite orchestré afin que nous ayons, le professeur de français et moi l’éducateur le même discours pour une meilleure cohérence dans la conduite du cours.
- A quels jeunes s’adresse ce travail éduc-profs ?
Ces jeunes sont à la fois en situation d’échec scolaire et en difficulté sociale, souffrant de « troubles du comportement et de la personnalité », sans « déficience intellectuelle associée ». Ces troubles sont la conjugaison de plusieurs facteurs : problèmes sociaux (chômage, exclusion…), carence éducative, maltraitance physique, psychique ou encore inceste, abus sexuels… Ils sont issus pour la plupart de cités au sujet desquelles les journaux relatent des faits de violence. Ils ne connaissent que leur cité et ils n’ont jamais évolué dans d’autres milieux que le leur.
La majorité de ces jeunes ne savent plus ce que peuvent représenter les valeurs, les sentiments comme : la solidarité, l’entraide, la sécurité, le respect, le plaisir, la joie, le rire partagés.
Ils ne savent guère plus ce que représente un arbre, une fleur, un bois, une forêt. Ces jeunes ne savent plus où prendre référence, « racine » pour se (re)construire. Ils vivent la grande Aventure vers l’inconnu, à travers le vol, le « deal », la drogue et les combines de l’argent facile, ils sont écorchés vifs. Ils ont un besoin de ces conduites à risque pour s’affirmer. L’envie du risque devient « conduite ordalique ». « Elle témoigne d’un affrontement avec le monde dont l’enjeu n’est pas de mourir mais de vivre plus… il s’agit d’interroger symboliquement la mort pour savoir si vivre vaut la peine ». (Le Breton D., Passion du risque (1991), Paris, Métalié).
En les observant au début de l’activité, nous sommes aperçus que ces jeunes formaient des groupes à la fois hétérogènes et homogènes dans leurs comportements, leurs réactions. Certains avaient peur de l’inconnu, du bois, de l’espace. D’autres participaient avec beaucoup de fougue, de risque et d’autres encore ne voulaient pas participer à l’activité. C’est à ce moment là que nous avions pris conscience que nous allions pouvoir utiliser ce support comme espace de travail éducatif, comme lieu de parole et d’apprentissage. Que cette activité n’allait pas être de l’animation pour l’animation, du gardiennage (Occuper les jeunes les plus difficiles de l’institution, pour éviter qu’ils ne fassent trop de vagues). Nous sentions que cette activité allait avoir une portée symbolique et du sens pour ces jeunes.
- Pourquoi cette activité ?
Leur permettre de voir, de sentir autre chose que le béton, leur cité. Leur permettre de découvrir la nature (la vie), le « beau ». Que ces jeunes voient autre chose que leur « culture jeune », cette culture où ils doivent avoir la dernière marque de vêtement sinon ils ne font plus partie d’un groupe. Changer de modèles identificatoires. Qu’ils arrivent par eux-mêmes à changer leur image.
* CHILD (Greg), Théorème de la peur, Les éditions Guérin, Chamonix, 1993, page 281. |
Pour qu’ils puissent atteindre ne serait-ce qu’un petit changement, ces jeunes évolueront dans un monde, un milieu inconnu pour la plupart d’entre eux. Ils iront à la découverte de leurs sens : le toucher, l’ouie, l’odorat, la vue. Par la suite ils aborderont les techniques d’apprentissage liées à l’activité : la sécurité, la remontée sur corde, la descente en rappel, l’assurage… Elle leur permettra d’affronter leurs peurs face au risque, face au danger. De s’entraider afin que cette peur devienne un allié et non un ennemi qui les stopperait dans leur cheminement. Et que leurs échecs soit formateurs. Comme nous le dit Greg Child dans son roman, relatant les propos d’un alpiniste polonais, Voytek Kurtyka[1] : « Mais comment pouvons-nous transformer l’échec en victoire ? » « Quand on a complètement échoué, on commence alors à apprécier les petites choses autour de soi. Il faut simplement retourner en montagne, non pas pour réussir ou pour la gloire mais pour profiter de la nature et des gens intéressants. Quand on réussit tout le temps, on apprécie l’admiration des autres. Mais l’échec signifie qu’il faut apprendre à se contenter de choix existentiels fondamentaux. Si l’on est capable d’apprécier les heures paisibles de la soirée, alors c’est merveilleux ; un héros qui réussit tout, n’a pas le temps de s’arrêter et de prendre plaisir à ces choses essentielles ».
Tous ces éléments émotionnels : la peur, l’échec, le vide, le risque, le danger…, conduiront le jeune à différer son plaisir, anticiper, tenir compte de la réalité, accepter ses propres limites, faire l’expérience de ses erreurs et de la frustration mais aussi de ses réussites, ceci dans un espace ludique, sans dangers majeurs et à partir d’enjeux limités et provisoires.
Mais il ne faut pas oublier que cet atelier a aussi un objectif d’apprentissage et de réintégration scolaire dans l’institution. Cet atelier leur permettra peut être de voir l’école autrement et d’appréhender les professeurs différemment. Que ces jeunes apprennent de manière différente, comme les pédagogies nouvelles (Freinet). Chacun apprendra par tâtonnement expérimental avec une mise en pratique systématique. Ce qui signifie, qu’un jeune sans connaissance particulière en mathématique par exemple, prendra des mesures avec ou sans outil de mesure et réalisera ce que représente une droite dans l’espace lorsqu’il fixera un câble. Il deviendra acteur et démonstrateur face au prof ou à l’éducateur afin qu’il soit valorisé dans une démarche d’apprentissage « ludicopratique ».
Comme le dit C. Freinet dans « Pour l’école du peuple » : « L’enfant et l’homme n’aiment pas écouter ce qu’ils n’ont pas sollicité et dont ils ne sentent pas le besoin vivant ». Là, les jeunes sont dans une démarche pratique et nous (le prof et l’éduc) les sollicitons en tant qu’acteurs.
- Deux exemples
- JEREMY
Jérémy est un de ces adolescents qu’on ne remarque pas. Réservé, introverti, ne posant pas forcément de problème de comportement. Agé de 14 ans et traînant comme lourd fardeau l’image du peureux et de bouc émissaire, il est maltraité (père alcoolique), et ses camarades le traitent de « peureux », « de fille », voire pire…
C’est avec beaucoup de difficultés que je l’ai amené vers cette activité. Il avait plutôt tendance à vouloir rester en cours. Il n’y posait pas de problème, mais il était le plus effacé dans le fond de la classe. Il prétextait tous les maux qu’il pouvait imaginer : qu’il avait le vertige, que les arbres n’étaient pas solides ou encore que c’était une activité qui n’était pas faite pour lui… Je lui ai répondu : « C’est normal que tu aies peur, moi aussi quand je monte dans les arbres j’ai une certaine appréhension, mais cette peur est nécessaire, pour éviter de faire des erreurs et elle me permet de réfléchir à ce que je fais ».
Je l’emmène, mais n’ai-je pas fait une erreur en lui proposant de participer, va-t-il paniquer une fois arrivé là haut ?
Nous nous sommes dirigés Jérémy, le groupe et moi-même dans le parc de l’institution pour gravir ces quelques mètres qui nous séparent de la cime des arbres. J’ai laissé le groupe seul (sous ma surveillance) puisqu’il avait déjà quelques séances de pratique. Je me suis donc occupé de Jérémy dans la mise en place de son baudrier, et pour lui expliquer le matériel et son utilisation. Une fois les aspects techniques assimilés, j’étais plus à même de lui faire saisir le but de cette séance. Jérémy devait monter dans un marronnier de 30 mètres de haut mais il pouvait s’il le voulait, et à tout moment, s’arrêter.
Jérémy a évolué par étapes. Il devait pour progresser dans l’arbre faire une remontée sur une corde fixe, comme une araignée qui remonte sur son fil, pour prendre possession de la hauteur et prendre conscience de l’espace, du vide qu’il l’entourait. Il fallait qu’il ressente tout ce que pouvaient lui procurer comme nouvelles sensations ces différents aspects spatiaux (son corps dans le vide, les repères dans l’espace…).
Jérémy est monté à 10 mètres sans s’en rendre compte. C’est une fois arrivé en haut de la corde que je le lui ai dit. Aussitôt, il a voulu redescendre. Non sans mal, mais il l’a fait. C’était un moment émouvant, je pouvais lire dans ses yeux comme dans un livre ouvert, il était plein de joie d’avoir réussi un tel exploit. Nous avons recommencé 2 ou 3 fois de suite et toujours plus haut et à chaque redescente son regard s’emplissait de joie, de plaisir. Il est allé jusqu’à 30 mètres, il a vaincu sa peur (sans l’avoir perdue !). Le regard des autres sur lui n’était plus le même. Jérémy existait non plus en tant que peureux, bouc émissaire, mais comme Jérémy tout simplement. Les autres sont allés vers lui et lui il avait une certaine fierté dans son regard. Il l’avait fait lui aussi et il était content d’échanger ses impressions avec celles de ses camarades.
- DAMIEN
C’est l’envers de Jérémy. C’est un jeune garçon de 13 ans, ayant une existence, une vie difficile dans une cité, parsemée de violences, de vols, de dégradations en tout genre et de règlements de compte. Une situation familiale des plus instables. Une mère très abîmée physiquement suite à de multiples tentatives de suicide, avec plusieurs hospitalisations, et pouvant devenir violente. Un père alcoolique, violent. Et Damien au milieu de tout cela…
Toute cette violence, cette instabilité, ce manque de repères, de règles s’exprimaient dans le comportement de Damien ; il nous l’a très bien montré au sein de l’institution ! Il ne fait confiance à aucun adulte de l’établissement, et l’école ne représentant pas grand chose pour lui, il était exclu de la scolarité mais avec un aménagement scolaire. Damien allait à certains cours, 4 heures par semaine, et le reste du temps il avait une prise en charge individuelle. Naturellement il ne respectait pas ce programme. Il errait dans l’institution. La seule école qu’il connaissait, c’était l’école de la rue. Il nous posait beaucoup de problèmes : il fuguait, cassait, frappait certains professeurs.
Damien n’a jamais fait partie du projet escalad’arbre. Il était déscolarisé, mais je le rencontrais régulièrement, car il était sur mon groupe de vie et à cette époque et j’étais son référent de projet individuel. Je le connaissais de mieux en mieux, souvent sous la forme de conflits et d’oppositions. Il se présentait sur le groupe de vie comme le leader, le caïd. Que pouvais-je mettre en place pour Damien ? Il refusait tout !
Je lui ai proposé de venir m’aider le mardi matin pour monter les ateliers. Il était d’accord et nous sommes allés rendre officiel cette prise en charge sur son emploi du temps. Il fallait qu’il voie, qu’il repère quand il allait participer à l’activité que ce moment privilégié était quelque chose de sérieux qui l’engageait, et que j’avais besoin de lui, de son aide. Dès le départ, je lui ai fait confiance. Je lui ai laissé du matériel qu’il pouvait facilement voler mais je n’y ai même pas pensé. Il avait besoin du matériel pour monter dans les arbres, je lui ai donné.
Nous avons échangé quelques mots, quelques explications sur les techniques et nous nous sommes assurés mutuellement. C’était une situation où il assurait ma sécurité, ma vie.
Au fil des semaines, je lui demandais de s’investir davantage pour le responsabiliser, pour lui donner une place. Et un beau matin tout en haut d’un arbre, Damien s’est mis à parler de lui, de sa vie, de sa courte vie pleine d’embûches, d’insécurité, de vide, de peur, d’angoisse… Je l’ai laissé parler, je ne lui ai pas posé de questions, je l’ai écouté. J’ai senti que son masque de caïd tombait. Je découvrais un adolescent perdu, sans repères, ne sachant quoi faire : être lui-même ou être un caïd ? Il m’a expliqué ce qu’il vivait dans sa cité, chez lui. Qu’il avait peur, qu’il se faisait agresser au cutter. J’avais l’impression de vivre l’action, d’être en plein ghetto où la loi du plus fort est règle de droit. Il a parlé et parlé encore, il a vidé son sac, son fardeau. C’était la première fois que je le sentais soulagé, apaisé de s’être livré. Depuis ce jour-là, je ne vais pas dire que tout va bien, mais Damien est plus calme, souriant, et il a réintégré la scolarité avec un emploi du temps toujours aménagé. Afin que son projet tienne et qu’il ait du sens, je passe beaucoup de temps avec lui, lors des activités physiques qui sont aussi un temps informel de parole et d’écoute et lors de temps plus formels comme sur le groupe de vie.
Sa recherche d’affection est arrivée à un tel point que Damien m’a appelé « papa ». Je lui ai demandé « pourquoi tu m’as appelé papa ? » et il m’a répondu « j’aimerais bien avoir un père comme toi ». Je lui ai dit que ce n’était pas possible mais que j’étais là pour l’aider, pour avancer ensemble afin qu’il trouve sa voie, afin que plus tard il puisse avancer seul lorsqu’il quitterait l’institution. Il a souri et il m’a dit « merci pour tout ». Ce transfert a évolué, Damien a très bien compris que je ne pourrais jamais être son père.
Damien a réintégré l’école dans l’institution avec une semaine sur deux un stage en mécanique moto. Tout se passe bien, le patron du magasin est très satisfait de Damien. Il nous a dit « c’est la première fois que j’ai un jeune aussi intéressé par ce qu’il fait ».
- Bilan
Tout ceci est un travail de longue haleine. Il n’aurait pu voir le jour sans un travail commun entre les différentes équipes.
Ce projet nous a permis de rebondir sur différents projets institutionnels au cours de l’année. Nous avons réalisé des transferts en lien avec ces ateliers et la scolarité. Un transfert en Bretagne en lien avec l’atelier pêche et nature, un transfert dans une ferme pédagogique dans le Jura en lien avec l’atelier jardinage. Et en ce qui me concerne pour l’année prochaine je mettrai en lien avec l’atelier escalad’arbre un transfert dans l’Ardèche afin d’appréhender les sports à risque (spéléologie, canyoning, canoë) et je ferai évoluer l’atelier en construisant un parcours aventure dans l’institution avec la participation active des jeunes.
Durant cette année, j’ai pu observer et vivre quelques situations avec les jeunes dans l’atelier escalad’arbre, ce qui fut pour moi une richesse. J’ai redécouvert ces jeunes que je connaissais pour la plupart sur le temps éducatif et non sur le temps scolaire. C’est une découverte qui m’a particulièrement interpellé, sur le plan relationnel, éducatif et scolaire.
Nos interventions respectives en classe et en milieu naturel, ont permis aux jeunes de nous voir autrement, non plus comme le professeur, l’éducateur.
Par le biais de ces ateliers, nous avons cassé des stéréotypes, des symboles, les représentations que pouvaient avoir les élèves de l’enseignant, de l’éducateur. Nous sommes passés de 5 minutes d’apprentissage à 1 heure d’apprentissage sur une heure de cours. Quel changement ! Quand nous avons démarré cet atelier, nous devions régler les conflits permanents, les insultes vis à vis du professeur de français. Les jeunes le surnommaient « KissCool », pour je ne sais trop quelle raison mais ce que je peux en dire, c’est que cela perturbait la classe. Mais petit à petit en divisant cette classe en deux, nous sommes arrivés dans un travail commun à avoir le calme et l’attention des jeunes. Les jeunes m’ont vu de faire un peu de français lors d’une production d’un écrit sur l’activité de la semaine passée et ils ont vu le prof grimper dans les arbres et d’être assuré par eux-mêmes. L’image de monsieur « KissCool » à disparu.
Nous étions gauches tous les deux. Lui lorsqu’il grimpait dans les arbres car il lui manquait la technique et moi c’était la même chose mais avec les mots. Les jeunes ont bien rigolé de notre manque respectif d’expérience dans le domaine qui n’était pas le nôtre. Cela nous a aussi permis de mieux nous connaître comme collègues puisque nous échangions nos nouvelles expériences communes.
Cette organisation m’a également permis de voir, de vivre et de partager des moments particuliers, des moments forts avec ces jeunes. Ainsi, j’ai pu remarquer que les comportements des uns et des autres étaient totalement différents durant l’activité par rapport à leur comportement sur les groupes de vie ainsi que sur le temps scolaire, en l’occurrence durant le cours de français (conflits, insultes, tables et chaises qui volent dans la classe).
Les plus téméraires devenaient les plus calmes et réservés, comparativement aux plus « timides » qui se sont extériorisés et mis en valeur.
Globalement, les objectifs que nous nous étions fixés dans le développement du projet ont été atteints. Les jeunes sont devenus autonomes dans la mise en place de leur parcours, chacun était capable de gérer la mise en place d’un ou deux ateliers (pont de singe, tyrolienne, descente en rappel..) en toute sécurité (sécurité individuelle, sécurité dans la mise en place et sécurité pour les autres). Je dirais que cette satisfaction de voir ces jeunes en rupture avec la scolarité, apprendre autant de choses, n’est qu’une goutte d’eau. Nous ne voulions pas nous arrêter sur le simple fait de leur donner un appétit d’apprendre, envie d’écrire, de « théoriser » mais surtout le fait de vivre avec eux d’autres moments leur permettant d’avancer, de grandir. Que ces multiples gouttes d’eau formeront un cours d’eau, une rivière qui les conduiront vers l’océan, vers l’avenir. Qu’ils sachent qu’il ne sera pas facile d’atteindre cet océan, que la vie est parsemée d’obstacles mais qu’ils seront armés pour les affronter.
[1] Child (Greg), Théorème de la peur, éd. Guérin, Chamonix, 1993, p. 281
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