On est en AEMO. Françoise C. a eu trois enfants avec des pères différents dont l’un a fait de la prison suite à des violences conjugales. Françoise « gave » de bonbons ses deux plus grands enfants. L’Assistante maternelle a des principes éducatifs très « traditionnels », et un conflit se cristallise entre elles sur les bonbons : ils n’ont plus faim, ils ont mal au ventre, sans compter les problèmes de dents… L’éducatrice a déjà tenté d’aborder le problème, Françoise l’écoute, semble comprendre ses arguments, mais elle persiste à donner des bonbons, ajoutant : « Chez la nounou, ils n’ont pas de bonbons, les pauvres ! »
Il m’a semblé nécessaire de travailler la question avec Françoise C., d’autant que l’aspect santé n’était pas à négliger… J’ai tourné autour du pot, il ne me semblait pas judicieux d’attaquer le problème de front et de remettre en cause directement sa façon de faire plaisir à ses enfants. Au cours de nos échanges, j’ai pu constater qu’elle considérait que c’était par ce genre d’attentions qu’elle pouvait montrer son affection, et que pour elle, cela rendait ses enfants heureux. Ainsi, si elle venait à les croiser fortuitement dans la rue, elle se précipitait pour en acheter. Si elle n’avait plus d’argent, elle en empruntait à ses proches pour ne pas faillir !
Une fois de plus, ce jour-là, j’assiste à une distribution de bonbons. Nous sommes dans le « salon » de l’association, une pièce aménagée de fauteuils et d’une table basse, délibérément confortable et chaleureuse. Nous sommes assises, l’une à côté de l’autre ; les enfants sont devant nous ; ils se précipitent sur les bonbons…
- Dis-donc, ils aiment beaucoup les bonbons, tes enfants…
 - Oui, ils adorent ça… Moi, j’en avais pas beaucoup quand j’étais petite… Ils aiment trop ça…
 - Trop ?
 - Ben oui, ils ne savent pas s’arrêter… et après, ils ne veulent pas manger autre chose, ils veulent toujours des bonbons…
 - Pourtant, tu veux leur faire plaisir…
 - Oui, mais il faut bien qu’ils mangent à table, ça m’énerve parce qu’ils ne m’écoutent pas…
 - Qu’est-ce que tu peux faire alors ?
 - Il faudrait qu’ils ne mangent pas tout d’un seul coup, mais si je leur dis non, après ils pleurent et c’est difficile, je n’aime pas les voir pleurer…
 - Peut-être que tu pourrais leur donner autre chose qui leur ferait plaisir, quelque chose qu’ils aiment beaucoup et pour lequel il serait plus facile d’être raisonnable…
 
Nous n’avons pas échangé un regard ; nous sommes toutes deux restées silencieuses, le regard fixé sur les enfants… Je ne dis rien, ne voulant pas lui dire qu’elle s’y prenait mal, lui donner de conseils, et me mettre en position de celle qui sait comment faire …
Epilogue : La mère, la fois d’après, apportera des bonbons, mais aussi des albums de coloriages. Ils passent un bon moment à colorier ensemble. C’est la première fois qu’elle fait une activité avec eux. Puis les quantités de bonbons diminuent ; elle apporte des gâteaux qu’elle a fait elle-même, adaptés au goût de chaque enfant, et qu’elle partage avec l’équipe. L’Assistante Maternelle apprécie et la félicite pour ses dons de pâtissière, Françoise esquisse un petit sourire. Depuis, le travail avec elle a repris sur d’autres bases ; elle se montre plus ouverte à l’échange, fait des efforts pour tenir sa place de mère…
Audrey, Educatrice spécialisée
Pistes de réponses : travail avec les familles ; reformulation (positive)