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s’écouter pour écouter

    S’écouter pour écouter…

    Problème : En AEMO, un père se montre particulièrement agressif lors du premier entretien…

    Je vais voir Mr. K. pour la première fois. Notre service a été mandaté pour exercer une mesure d’AEMO concernant la famille. Mr. K. a deux petites filles, Fatima cinq ans et Myriam deux ans. Le signalement a été fait conjointement par l’assistante sociale scolaire de Fatima, et par l’assistante sociale de la protection maternelle infantile. Ce signalement fait état d’un manque de suivi de santé pour les deux petites. Par ailleurs, le signalement évoque les nombreuses absences de Fatima à l’école, ainsi que ses vêtements qui ne sont pas toujours propres… mais aussi l’agressivité de Mr. K. à chaque fois que l’école ou la protection infantile ont essayé de discuter avec lui de ses difficultés.

     Mr. K. est un homme de 25 ans. Il vit avec ses filles chez ses parents. La mère de Fatima et Myriam n’a pas donné de nouvelles depuis plusieurs mois. Je précise qu’avant de rencontrer Mr. K. au service, j’ai lu dans les éléments du signalement que cet homme est « le dealer » du quartier. J’ai donc déjà une représentation de lui : un homme hors la loi qui vient dans un service cadré par la loi. Mais Mr. K. a peut-être lui aussi une représentation de ce que peut être un suivi éducatif dans le cadre judiciaire ! Notre première rencontre sera ainsi un moment où chacun va mettre en confrontation ce qu’il imagine de l’autre…

     Mr. K. arrive à l’heure. Alors même que je me présente, dans la salle d’attente, je lis dans son regard de la colère. Nous nous dirigeons vers le bureau. Je suis à peine assise que resté debout face à moi, il dit de façon agressive, de sa voix très grave et très puissante :

    • Autant vous prévenir tout de suite, c’est la première et la dernière fois que je viens vous voir. Je n’aime pas qu’on se mêle de mes affaires !

     Je suis tellement surprise par son ton et ses propos que je reste quelques instants sans parler. Mr. K. m’interpelle de nouveau :

    • Vous avez un problème ? (toujours sur le même ton)

    Je ne réponds pas tout de suite. Je me demande quoi faire : arrêter immédiatement l’entretien ? Lui dire dans quel sentiment je suis à cet instant ? Je choisis finalement de lui faire partager mon ressenti :

    • Et bien en fait, je ne sais pas quoi faire : je comprends que vous soyez en colère, mais cela m’empêche d’être sereine en face de vous. Je suis même plutôt stressée…

     C’est au tour de Mr. K. d’être surpris. Il s’arrête tout net. Son visage se détend. J’ai l’impression qu’il est gêné. Ou du moins qu’il ne s’attendait pas à cette réponse. Je reprends :

    • Si vous le voulez bien, je propose que vous m’expliquiez un peu plus ce qui vous met en colère…

     Mr. K. s’assoit alors sur une chaise et me dit d’une voix plus calme :

    • Je viens de vous le dire. Je ne supporte pas qu’on se mêle de mes affaires.
    • Moi aussi, généralement je n’aime pas qu’on se mêle de mes affaires. Mais dans ce cas précis, Monsieur, ni vous ni moi n’avons le choix. Le juge des enfants nous a mis dans l’obligation de nous rencontrer.
    • De toute façon, c’est la faute de ces assistantes sociales ! Elles veulent que je fasse exactement ce qu’elles ont décidé, et moi je ne suis pas d’accord !
    • Si je comprends bien, Monsieur, ce qui vous met en colère, c’est que les assistantes sociales vous demandent de faire un certain nombre de choses avec lesquelles vous n’êtes pas d’accord ?
    • Oui, c’est ça. Elles veulent que Fatima aille à l’école tous les jours. Moi, je leur dis qu’à cet âge-là, l’école n’est pas encore obligatoire.
    • Oui, effectivement, vous avez raison Monsieur, l’école n’est pas obligatoire à son âge. Fatima à cinq ans, n’est-ce pas ?
    • Oui, cinq ans, et sa sœur deux.

    Mr. K. est tout à fait calme maintenant. Il ajoute :

    • Elles ont fait un signalement parce que j’étais pas d’accord avec elles.
    • Vous m’avez dit que vous ne souhaitiez pas mettre Fatima tous les jours à l’école, ce qui peut expliquer les absences mentionnées dans le signalement. Pouvez-vous me dire avec quoi d’autre vous n’êtes pas d’accord ?
    • Avec tout ce qu’elles ont dit.
    • Ce que je vous propose, Monsieur, c’est de m’expliquer selon vous pourquoi les assistantes sociales se sont montrées inquiètes au point d’informer le juge des enfants.
    • Mes filles, je les aime. Elles sont inquiètes parce que je suis jeune papa et que j’élève mes filles seul. Mes parents m’aident de toute façon !
    • Vos parents sont un soutien important d’après ce que je comprends.
    • Ben oui, j’ai deux filles, elles sont petites, et moi je travaille. Leur mère est partie, je sais pas où elle est.

     L’entretien s’est poursuivi ainsi. Mr. K. a accepté un autre rendez-vous, cette fois accompagné de Myriam et de Fatima.

    Houria, Educatrice spécialisée

    Récit publié dans Sortir de l’impasse (L’Harmattan, 2022) p. 147 ; on y trouvera une analyse et des citations

    Citation proposée par Houria : « Il est possible de mettre en place des attitudes de défense (mettre fin à l’entretien) ou mettre en place des stratégies de « pseudo-aidant » : renvoyer le jeune ou sa famille vers d’autres structures ou professionnels, mettre une distance relationnelle, ne pas accepter de se laisser toucher, pour « s’habiller » dans le rôle d’aidant, en me convaincant que ce que je fais est la bonne solution… » (Michel Lemay, Revue Dialogue n°25)

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