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Samia, qu’est-ce que tu sais faire de bien?

    Problème : Une personne adulte a des projets professionnels inadéquats ; comment faire ?

    Samia est arrivée au CHRS avec ses deux sœurs, et ses deux frères. Elle est la seconde. Elle a 22 ans. Je suis référente de la fratrie. Samia est venue en France avec ses parents et ses frères et sœurs (hébergés en CHRS) et deux autres frères et sœurs de 5 et 17 ans. Ils sont arrivés d’Algérie avec rien : des projets plein la tête, des souvenirs, des rêves sans doute, mais pas logement, pas de travail, juste quelques petites connaissances familiales qui leur avaient fait miroiter une possibilité d’hébergement. Mais au final : Rien. Leur contact n’avait finalement pas suffisamment de place pour héberger tout ce monde. Alors première rencontre avec la France : la Rue, puis le 115.  La problématique familiale s’alourdit de faits de violence et de maltraitance. Samia « trimballe » cette souffrance, un père violent, une mère qui la délaisse et pour en rajouter, une maladie : Samia souffre de douleurs rhumatismales associées à une maladie de peau. Elle a un lourd traitement médicamenteux et se fait hospitaliser régulièrement.

    La première fois que je l’ai vue, c’était dans la cuisine. Elle faisait le ménage et tentait de balayer. Elle avait renversé le seau d’eau, démonté le balai, et elle en avait mis partout. J’avais en face de moi « Pierre Richard » ! ça m’avait fait beaucoup rire lorsqu’elle expliqua aux autres résidents ses exploits dans la cuisine. C’était donc la première image que j’avais de Samia, une fille rigolote, maladroite et qui parle fort. Mais Samia, malgré ses fous rires, est un « clown triste ». Si elle s’esclaffe pour les moindres choses, elle pleure régulièrement quand elle est en entretien avec moi. Dans mon bureau, elle vient déposer une immense valise de souffrances.

    Un jour sa petite sœur, Lina, vient me voir très en colère en pleurant. « Pourquoi m’empêchez-vous de dormir chez une copine, ce week-end ? ». Assez stupéfaite de ce que je viens d’entendre, je décide d’aller voir Samia pour comprendre un peu mieux. Très en colère, Samia me dit que « chez eux ça s’fait pas, qu’on part pas en week-end comme ça ». Elle mélange tout, pleure et finit par dire à sa sœur qu’effectivement, je n’ai jamais dit ça.

    Je lui demande de monter dans le bureau. Là, Samia est agressive avec moi et moi je suis un peu remontée ! En fait, peu à peu je comprends le fond du problème : elle ne tolère pas de voir sa sœur partir chez une copine. Samia ne supporte pas de voir sa petite sœur réussir. Lina est belle, a un travail, des copines et surtout elle n’est pas malade comme elle.

    Dans le bureau, le ton est assez sec, puis se radoucit jusqu’à ce que Samia s’effondre en larmes et me dise : « J’suis foutue de toute façon, j’suis toujours malade, avec ces médicaments de merde !! J’ai rien fait de bien dans ma vie, y’a rien de bien dans ma vie, j’sais rien faire, moi ».

    Silence parsemé des reniflements de Samia. Difficile de trouver les bons mots. C’est vrai que sa vie n’est pas un océan de bonheur ! Et que ses médicaments sont lourds et difficiles à tolérer, malgré qu’ils la maintiennent en vie. Mais Samia sait forcément faire des choses bien, des choses qui lui plaisent…

    Je tente : « Samia, réfléchis, moi, je suis certaine que tu fais des choses bien, déjà t’arrives à me faire rire !! (Elle esquisse un sourire) Il y a bien des choses que tu aimes faire ? »

    Silence.

    « A l’école, j’étais la meilleure en… » elle me fait un geste de la main «  …En dessin… J’aime bien dessiner ». On se met à échanger calmement de la peinture, des couleurs qu’elle aime, des dessins qu’elle faisait…

    Elle finit par me dire « Et puis, y’a la broderie. Je faisais de la broderie en Algérie. Venez voir ».

    Elle m’emmène dans sa chambre. Lina sa petite sœur est allongée sur le lit. Dans un bazar innommable, Samia fouille dans un grand sac et en sort un grand tissu blanc brodé de fleurs, de formes de toutes les couleurs, très joli. Je la félicite, lui dis que c’est très beau, qu’elle a de l’or dans les mains… Lina se met à parler : « C’est vrai en Algérie, elle a fait plein de trucs, des napperons, des robes, des couvertures, c’est dur ce truc, moi, je n’y arrive pas ! ».

    En effet, Samia est la seule à pouvoir faire cette broderie, la seule capable… Elle m’explique qu’elle a appris un peu toute seule mais qu’elle a surtout regardé sa grand-mère faire. Les formes géométriques, c’est elle qui les a dessinées. « C’est moi qu’ai inventé » me dit-elle.

    – Pourquoi n’as-tu jamais continué Samia ? 

    – Oh, ici, on m’a dit qu’en France, on peut pas faire un métier avec la broderie, alors j’ai laissé tomber, je l’ai jamais ressorti ce tissu, ça fait trop longtemps…

    – Tu caches ton trésor, Samia ! lui dis-je.

    Son sourire a remplacé ses larmes. Samia a les yeux qui scintillent. Il y a peut-être un petit quelque chose qui s’est passé chez elle. Je lui propose de choisir un jour dans la semaine  pour aller au marché et acheter de quoi faire de la broderie.

    Au moment de partir rentrer chez moi, Samia les yeux mouillés me dit :

    – Je m’excuse pour tout à l’heure… C’est vrai, j’ai crié, tout ça, avec Lina, je suis désolée. 

    – C’est excusé Samia, à demain !

    – Merci…

    Dans la semaine, on a trouvé un moment pour aller au marché et acheter  de la broderie. Ce matin-là, par chance, il faisait beau. Nous y sommes allées à pied toutes les deux. Samia marchait déjà un peu mieux. J’étais contente d’aller me balader au marché avec elle. J’ai toujours aimé les marchés : c’est plein de couleurs, d’odeurs, et tous les sens sont en éveil.

    Nous nous sommes arrêtés à tous les stands, et nous avons pris notre temps. Pas d’urgence, d’histoires de médicaments, d’hôpital,  de travail, de logement ; juste un marché ensoleillé où l’on pouvait flâner un peu. Samia me disait ce qui lui plaisait, ce qu’elle trouvait joli, ce qu’elle aimerait bien avoir…

    Puis, nous sommes arrivées au stand broderie. Elle a regardé tout, a touché aux tissus, aux fils, etc. Elle expliquait au commerçant ce qu’elle voulait avec des termes bien précis auxquels je ne comprenais rien.

    Le commerçant lui a même dit « Vous êtes une connaisseuse vous !… Mais vous (moi), non ? »

    « Moi, non je n’y connais rien du tout ! »

    Samia n’avait pas assez d’argent sur elle pour acheter tout ce qu’elle voulait. Alors, elle a choisi quelque chose d’un peu plus simple, parmi des tissus, sur lesquels étaient dessinés, des chats, des maisons… Elle en a choisi un avec un arbre, un bel arbre avec un beau cadre bleu.

    En revenant au foyer, Samia m’a proposé de m’apprendre un jour la broderie. Je lui ai dit que j’en serai ravie.

    Samia ne m’a finalement pas appris la broderie. Faute de temps, ou d’envie de sa part ? J’ai peut-être un peu raté quelque chose. Je ne sais pas….

    C’est vrai qu’après cela, Samia allait un peu mieux quand même, elle reprenait consciencieusement ses médicaments. Elle se  maquillait un peu. Elle sortait un peu plus. Elle avait des « rendez-vous » me disait-elle. Elle courait non pas pour fuir mais pour vivre….

    Alice, Educatrice spécialisée

    Ce texte est extrait de Sortir de l’impasse (L’Harmattan), p. 137 ; on y trouvera une analyse et des citations

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